Partenariat Public-Privé non lucratif : vers la rupture ? L’exemple du secteur de la santé

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Partenariat Public-Privé non lucratif : vers la rupture ? L'exemple du secteur de la santé

Au moment où la crise financière qui ébranle toute la planète se transforme en crise économique et sociale grave sur tous les territoires, les pouvoirs publics de notre pays continuent à ignorer, déstabiliser voire évacuer les acteurs économiques et sociaux qui dans cette période peuvent jouer un rôle majeur : ceux qui appartiennent au secteur de l’Economie sociale et solidaire, ceux là même qui sont à la base d’organisations et d’entreprises qui structurent des pans entiers de la vie économique et sociale de notre pays.

Le CEGES, Conseil des Entreprises, Employeurs et Groupements de l’Economie Sociale, tient à appuyer et relayer l’inquiétude de ses membres face aux orientations et décisions prises dans le cadre du budget 2009 de l’Etat, de la mise en œuvre de la RGPP, ou encore le projet de loi « Hôpital-Santé-Territoires ».

Le partenariat Public-Privé non lucratif : le double jeu des pouvoirs publics

Agissant dans des domaines professionnels très divers : santé, médico-social, social, tourisme, éducation populaire, culture, monde rural etc., les acteurs de l’Economie sociale entretiennent avec les Pouvoirs Publics des relations spécifiques liées à la reconnaissance explicite ou implicite de leur contribution à l’intérêt général. Tous, s’appuient sur l’engagement volontaire de citoyens qui ont historiquement initiés et proposent encore des projets innovants et des réponses citoyennes et collectives aux besoins et difficultés des personnes avec lesquelles ils vivent et travaillent.

Ainsi, l’économie sociale et solidaire compte près de 10% de l’emploi en France, soit plus de 2 millions de salariés et 200 000 établissements employeurs. Pour ne citer qu’un seul chiffre révélateur du dynamisme du secteur : la croissance de l’emploi a été de 4,2% entre 2005 et 2006, soit un taux de progression des postes équivalents temps plein sans commune mesure avec le reste de l’économie (+0,7%). Cette économie dynamique répond ainsi aux évolutions structurelles de notre économie vers toujours plus notamment de services relationnels, dans le
cadre de modèles économiques public-privé non lucratif efficaces en particulier dans les secteurs de l’action sociale, de la santé et de l’éducation. [1]

Or, l’ensemble des orientations ou décisions des pouvoirs publics, en matière budgétaire, législative ou de réforme des politiques publiques apparaissent comme une véritable remise en question, voire négation des valeurs sociales portées par les associations et mises en œuvre dans les entreprises qu’elles développent. Ceci, il faut le noter, en contradiction avec les discours des ministres ou des élus concernés.

La volonté de généralisation d’une culture fondée sur le tout marchand apparaît de plus en plus clairement. On peut citer ainsi le rapport transmis à Mme Bachelot en septembre 2008 (Rapport Langlais) préconisant le passage « de la culture de subvention à celle de la commande publique ». On doit rappeler également la diffusion d’une logique unique de réponse à des appels d’offres publics, notamment par les collectivités, pour la mise en oeuvre des projets associatifs. Ces évolutions sont à la base de nombreuses craintes.

L’exemple du projet de loi « Hôpital-Santé-Territoires » : de sérieuses menaces pour le secteur privé non lucratif

Si ce projet, dans un nombre conséquent de dispositions qu’il contient répond à des attentes, voire à des propositions des professionnels de la santé de notre secteur (organismes privés non lucratifs) , il soulève de réels problèmes quant à ses modalités de mise en œuvre, et nous voulons ici en souligner trois :
- la mise en place de l’Agence Régionale de Santé (ARS), sur la base d’une gouvernance quasi-exclusive des pouvoirs publics, au niveau du Conseil de surveillance, ne laisse aucune place à la participation des acteurs économiques et sociaux concernés.
Ceci est en parfaite contradiction avec l’esprit des textes précédents et de pratiques pourtant satisfaisantes, par exemple celui de la CNSA.
- la mise en œuvre de tout nouveau projet, en réponse à la seule initiative des pouvoirs publics, raye d’un trait de plume toute l’histoire du développement du secteur du médico-social dans certains domaines : personnes handicapées et ou dépendantes, ou social : petite enfance etc.
Dans ces domaines en particulier ce sont bien les initiatives de la Société civile organisée,sa capacité, par le biais d’acteurs dont elle a su se doter, de proposer des projets, en réponse à des besoins indiscutables qui permettent aujourd’hui par exemple à 400.000 personnes handicapées d’être accompagnées par 200.000 salariés.
Où en serions nous si il avait fallu attendre de répondre à des appels d’offres de pouvoirs publics ? En ce domaine, ce sont bien les projets innovants et les propositions d’expérimentation portés par les acteurs de l’économie sociale qui sont à la base de la prise de conscience des acteurs publics.
Ce qui se profile avec un développement totalement encadré par les appels d’offres est la disparition de toute initiative et de tout projet citoyen adapté, en phase avec les territoires à partir desquels les besoins sont exprimés.
- si personne ne doute de la nécessité d’engager une réforme de l’hôpital, le traitement réservé au régime des « établissements participant au service public hospitalier » (PSPH), dans un contexte modifiant également la notion de service public hospitalier, qui serait mis en voie d’extinction, remet en question l’existence même d’établissements privés à but non lucratif.
Y aura-t-il place, demain, entre le service public et le secteur marchand lucratif pour une offre de soins ou de services sociaux non lucratif ?
Aujourd’hui, nos établissements assurent 15% des capacités d’accueil du secteur sanitaire et 56% de celles du social et du médico-social.

La place du secteur privé non lucratif : un enjeu de société

D’une manière plus générale,c’est bien la volonté de construire une société, intégrant ou non, un secteur organisé, entre public et tout marchand qui est en cause.
L’existence même d’un tiers secteur, d’une économie sociale, reposant sur des cadres juridiques spécifiques, associatif, coopératif, mutualiste ou fondations, garants d’une économie fondée sur une participation citoyenne, de la réalisation au contrôle des projets, semble aujourd’hui remis en question.

Cette conception se lit encore dans les propositions de budget pour 2009 qui concernent le monde associatif. Ce budget, dans ses différentes composantes, avalise le désengagement de l’Etat vis-à-vis du monde associatif [2] et les situations relevées par la coordination associative, CPCA, sont éloquentes. Baisse des moyens financiers et capacités de maintenir des emplois sont liées.
Nous ne relevons ici qu’un seul exemple : celui des territoires ruraux. La suppression de lignes de financement [3] consacrées à l’animation des territoires ruraux aura pour conséquence de porter atteinte aux réseaux engagés pour la dynamisation des territoires, le maintien de l’emploi et la qualité de vie pour ses habitants.

Au-delà de la réduction des budgets, dans tous les domaines, c’est encore ici le principe du développement lié à la seule offre publique, et l’application, sans discernement du droit de la concurrence, qui participent à la marginalisation, à terme à la disparition de tout ou partie du secteur associatif.
Nous ne reviendrons pas sur l’importance de l’initiative associative. Mais ce qui est aussi en jeu c’est la valeur accordée au projet associatif lui-même, porté par des groupes de citoyens.

Les responsables politiques peuvent – ils se passer de ces propositions ?

Les acteurs de l’Economie sociale n’entendent pas être instrumentalisés dans un jeu de « question-réponse ». Ils veulent être de véritables partenaires dans l’élaboration des politiques publiques.
Les procédures envisagées s’éloignent totalement de cette approche pourtant recommandée dans les textes européens.
Quant à l’application du droit de la concurrence à tous les secteurs sociaux, nous ne pouvons ici que renvoyer aux travaux des organisations de l’Economie sociale réunies dans le collectif
SSIG [4] et la CPCA [5] et réaffirmer que la dignité et le droit des personnes, s’accommodent mal de parts de marché.

Ainsi, ce passage de la subvention à la commande publique et les conséquences que l’on en tire, opèrent une modification substantielle dans le rapport entre pouvoirs publics et société civile organisée, spécialement entre pouvoirs publics et opérateurs de l’économie sociale.

Les acteurs de l’Economie sociale ne sont pas les défenseurs d’un statut quo, ni les tenants d’une vision archaïque de l’organisation sociale. Ils ont démontré leurs capacités d’adaptation, en apportant, souvent en pionniers, des réponses et des solutions aux difficultés auxquelles les pouvoirs publics étaient confrontés. Leur attachement à l’avènement d’une véritable démocratie économique et sociale, qui donne sa place à chacun et lui permet d’être un acteur à part entière de sa vie, est le fondement de cette position face à ce qui nous est proposé aujourd’hui, et qui va à l’encontre des principes que nous défendons.

Nous souhaitons que ces orientations soient discutées, dans leur globalité. C’est d’un projet de société dont il est question.

Les acteurs de l’Economie sociale réunis au sein du CEGES souhaitent que les questions qu’ils soulèvent ne soient pas traitées comme de simples ajustements techniques dans les domaines concernés, en fonction d’une volonté simplificatrice de révision des politiques publiques (même si elle a toute sa pertinence par ailleurs), mais dans le cadre d’une vision renouvelée de l’action publique :
- qui donne toute sa place à tous les acteurs,
- qui se donne les moyens de redéfinir ses interventions en terme d’investissement social (subventions) et en fonction de critères préalablement définis,
- qui redonne au partenariat acteur public/société civile la place qui doit être la sienne dans la construction d’une société moderne.

Finalement, que pensent les Français de cette situation ?

Avant la crise [6], ils étaient 40% à estimer que les associations étaient les plus efficaces pour délivrer des services sociaux à égalité avec les services publics. Ce chiffre est encore plus élevé dans les pays Européens ayant réformés leurs services publics. Ils sont pourtant près de 60% à reconnaître que les financements publics font défaut aux acteurs associatifs pour mener à bien leurs missions.
Aujourd’hui, la France se distingue puisque 91% de nos concitoyens veulent une réforme du capitalisme, dont 53% une réforme en profondeur. De fait, ils sont une majorité en Europe à souhaiter que l’Etat intervienne plus, et une majorité à juger insuffisante la protection sociale étatique. [7] Le temps est venu de faire du partenariat public-privé non lucratif un axe concret de réforme constructive du capitalisme en France et en Europe.

- Le Conseil d’administration du CEGES
- Le Groupement National de la Coopération (GNC)
- La Fédération Nationale de la Mutualité Française (FNMF)
- Le Groupement des Entreprises Mutuelles d’Assurances (GEMA)
- La Conférence Permanente des Coordinations Associatives (CPCA)
- Le Comité de Coordination des Oeuvres Mutualistes et Coopératives de l’Education Nationale (CCOMCEN)
- L’Association des Fondations de l’Economie Sociale (ASFONDES)
- La Conférence Nationale des Chambres Régionales de l’Economie Sociale (CNCRES)
- L’Union de Syndicats et Groupements d’Employeurs Représentatifs dans l’Economie Sociale (USGERES)
- L’Union des Fédérations et Syndicats Nationaux d’Employeurs sans but lucratif du Secteur Sanitaire, Médico-social et Social (UNIFED)

[1Cf. Panorama de l’économie sociale et solidaire, données au 31/12/2008, observatoire national de l’économie sociale et solidaire, décembre 2008.

[2Cf. Les associations en France. Poids, profils et évolutions. CNRS-Matise, Novembre 2007. (-5% de financements d’Etat et -9% de financements des organismes sociaux entre 1999 et 2005)

[3correspond à la suppression pure et simple de la ligne animation rurale du budget 2009, et la suppression des postes FONJEP (co-financement d’emplois d’encadrement).

[6Sondage Crédit coopératif-Deloitte-Chorum et CSA, septembre 2008

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