3 questions à Cyrille CHRETIEN, Président de Ressources Solidaires sur le projet de loi Hamon, les évolutions à venir du travail et les jeunes

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3 questions à Cyrille CHRETIEN, Président de Ressources Solidaires sur le projet de loi Hamon, les évolutions à venir du travail et les jeunes

(Ressources Solidaires) : Le projet de loi Hamon est sur le bureau des sénateurs. Un an de concertation avec les réseaux. Vous en pensez quoi ?

(Cyrille Chrétien) : En un mot, tout ça pour ça…

La mesure première de la loi visait à faciliter l’achat d’une entreprise par ses salariés. C’était une promesse de F.Hollande : à qualité égale, le projet de reprise par les salariés sous la forme d’une SCOP aurait la préférence. Pilonnée par le MEDEF, cette préférence est ramenée aujourd’hui, dans le projet, à une obligation d’information. C’est déjà une défaite…

Le MEDEF bataille encore pour faire en sorte que cette information n’ait lieu que lorsque l’entreprise en vente ne trouverait preneur. Pour eux « Au marché les entreprises, aux Scop les risques de reprise sur les canards boiteux ». Nous verrons ce qu’il adviendra finalement dans la Loi.

Pour le reste de la loi, que dire qui n’ait déjà été dit ?

La quête de reconnaissance des acteurs de l’ESS a amené chacun à plaider pour sa famille, favorisant le sentiment d’une loi nébuleuse un peu informe, avec un grand oublié, le secteur associatif, et une confusion des champs de l’ESS, avec la définition de l’entreprise sociale, amenée par le lobbying de l’entrepreneuriat social.

Peut –on réellement, d’un côté résister au lobbying du Medef , en favorisant, de l’autre, l’idée que les questions sociales sont un marché comme un autre… ?

(Ressources Solidaires) : En tant que pionnier sur la réflexion sur le marché du travail associatif (Début 1980), et expert depuis quelques années, votre regard sur l’évolution du marché du travail dans l’ESS ? Le projet de loi n’aurait-il pas du apporter des bases pour de nouvelles formes de travail et de nécessaires et nouveaux rapports au travail dans notre secteur ?

(Cyrille Chrétien) : Ce sont les modes d’organisation du travail qui ont changé. La pression de la concurrence, la dictature du chiffre ont financiarisé le travail, et l’entreprise, et ce même dans des domaines où il n’y a pas d’actionnaire.

Dans le même temps, la souffrance au travail a explosé ( Troubles Musculo-Squelettique, Stress, …). Elle s’explique notamment par une perte de sens et de reconnaissance , issue à la fois de la financiarisation de l’entreprise ( le « bien travailler » est remplacé par le seul bon ratio de court terme) et la disparition des collectifs de travail ( la reconnaissance par le collectif de travail ,par les pairs disparait).

En théorie, qui mieux que les entreprises de l’Economie Sociale aurait pu relever le défi d’un travail où le sens de la mission se conjugue avec un bien–être au travail ?

Dans la pratique, la réponse est plus…contrastée. Au regard de ses valeurs proclamées, les attentes sont plus fortes dans une entreprise de l’ESS et des tensions peuvent apparaitre entre la cause et le contrat. Et le conservatisme managérial n’épargne pas les entreprises de l’ESS.

Etait-ce à la loi de trancher ces questions ? Je ne crois pas, et elle a bien fait de ne pas s’en mêler ! N’est-ce pas plutôt aux responsables du secteur, aux parties prenantes et au dialogue social de s’en saisir ?

(Ressources Solidaires) : Sous couvert de génération Y, ou de génération "quoi", on pense que les jeunes sont soit dans la recherche de sécurité, soit dans la recherche d’autonomie dans le travail. Le conquérant VERSUS le peinard. Est-ce si manichéen que cela ? Et pour les autres tranches d’âge ? Ne serait-ce pas plutôt une tendance lourde du monde du travail actuel ?

(Cyrille Chrétien) : Pierre BRECHON et Olivier GALAND travaillent sur l’évolution des valeurs des Français à partir d’études cibles et répétées depuis les années 80. Dans leur dernier ouvrage [1], ils montrent que l’individualisation – entendue comme affirmation de l’autonomie de l’individu et de ses choix – est bien la caractéristique majeure des valeurs des Français.
Cette individualisation constitue une clef de compréhension de nombreux autres phénomènes contemporains , au premier rang desquels, le travail.

Pour le travail, la revendication d’autonomie est première, et liée, sans y être opposée, au besoin de sécurité.

Faut-il y voir un danger pour notre avenir collectif ? Pas forcément ! Car l’individualisation n’est pas l’individualisme et ne prône pas le culte du « chacun pour soi ». Elle pourrait même favoriser la cohésion sociale, pour peu qu’elle crée les conditions de cette autonomie.

C’est déjà l’objectif des nouvelles formes d’emploi ( Coopérative d’activité, Portage salarial, Groupement d’employeur , Temps partagé).

[1« L’individualisation des valeurs », Armand Collin, 2010

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