Interview exclusif avec Maricarmen Merino, Présidente, fondatrice et Responsable de la formation, du Comité d’entrepreneuriat en Economie Sociale du Québec (CEESQ)

Publié le

Interview exclusif avec Maricarmen Merino, Présidente, fondatrice et Responsable de la formation, du Comité d'entrepreneuriat en Economie Sociale du Québec (CEESQ)

Ressources Solidaires : L’économie sociale au Québec, vue de France, c’est 10 ans d’avance. Et pourtant, à quelques mois près, nos deux territoires ont adopté (ou adopte en ce moment pour la France) une législation qui reconnaît et encadre ses initiatives et acteurs. Alors, précisément, l’économie sociale, c’est quoi au Québec ?

Maricarmen Merino : Au Québec, l’économie sociale comprend toutes les entreprises dont les activités consistent en la vente ou l’échange de biens ou des services et qui est exploité par une coopérative, une mutuelle ou un organisme à but non lucratif. Le secteur représente plus de 7 000 entreprises collectives, quelques 150 000 emplois et plus de 17 milliards de dollars en chiffre d’affaires, selon les chiffres du Chantier de l’économie sociale. Elle représente 8% du PIB.
Depuis une vingtaine d’années, les acteurs de l’économie sociale ont réussi à faire reconnaître l’apport du secteur à l’économie Québécoise et cella s’est traduit d’abord en appui financier et ensuite, en par la reconnaissance politique avec l’adoption de la Loi sur l’économie sociale.
En termes d’appui financier, le gouvernement du Québec (tous partis confondus) a contribué, depuis 1996, à la naissance de plusieurs outils d’investissement pour favoriser le développement des entreprises collectives, mais aussi pour la consolidation de celles déjà en place.
Par exemple le Réseau d’investissement sociale su Québec (RISQ), un fonds de capital de risque à but non lucratif destiné à soutenir uniquement les entreprises d’économie sociale, offre trois types de soutien financier allant de l’aide technique (5 000$), au prêt de démarrage (jusqu’à 100 000$ sur 2 ans) et à la capitalisation (jusqu’à 50 000$). Pour sa part, la Fiducie du Chantier de l’économie sociale offre des prêts sans exigence de remboursement de capital avant 15 ans, en capital patient. Il y a aussi le Programme d’infrastructures en entrepreneuriat collectif (PIEC) qui est doté d’une enveloppe d’investissement gouvernementale de 10 millions de dollars. Seulement pour ces outils, on parle ici de 25 millions de dollars en soutien étatique pour l’année 2010.
Il existe aussi des subventions, dont le Fonds de développement des entreprises d’économie sociale qui soutient le démarrage des entreprises avec des montants allant jusqu’à 25 000$ et un soutien technique de 5 000$, sans compter toutes sortes de fonds sectoriels spécifiques à l’économie sociale. D’autres organisations ont aussi créé des bourses pour les entrepreneurs collectifs.
Il est vrai que tout n’est pas rose et qu’il faut plus et mieux pour soutenir le développement des entreprises d’économie sociale, mais si on regarde 20 ans en arrière, on peut reconnaître les gains obtenus par le milieu au Québec : création du RISQ, 1997 ; création de la Fiducie du Chantier de l’économie sociale, 2006 ; création du Fonds de développement d’entreprises d’économie sociale, 2007 ; ouverture des marchés publics aux entreprises d’économie sociale, 2013, et ainsi de suite.
Selon moi, la Loi cadre récemment adoptée au Québec vient concrétiser à niveau législatif la reconnaissance de l’État à l’économie sociale. Je ne connais pas très bien les types d’appuis financiers offerts à l’économie sociale et solidaire en France, mais certains de vos compatriotes avec qui j’ai eu le plaisir d’échanger considéraient, comme moi, que la grande différence entre le Québec et la France est l’aspect financer. En effet, la reconnaissance de l’économie sociale au Québec est venue, depuis une dizaine années et cela avant la Loi cadre, avec du soutien financier permettant de mettre en place des outils d’investissement adaptés aux entreprises collectives. L’essor de l’économie sociale au Québec en est redevable.

Ressources Solidaires : Tu es fondatrice et Présidente du Centre d’entrepreneuriat​ en économie sociale du Québec. Peux tu nous présenter cet organisme ? A la lecture, cela ressemble un peu à nos coopératives d’activité et d’emploi (Pour toi -> http://www.cooperer.coop/) proposant des solutions collectives pour des entrepreneurs individuels (ou en faible nombre). Avez vous des liens avec le mouvement coopératif français ?

Maricarmen Merino : Le Centre d’entrepreneuriat en économie sociale du Québec est une coopérative de travail. Selon la législation québécoise, le but de ce type de coopérative est d’offrir du travail à ses membres qui partagent les mêmes objectifs et la même mission d’entreprise. À différence d’une CAE, les services ou les biens développés par les coopératives de travail le sont dans un secteur d’activité « unique ». Dans notre cas, il s’agit des services de formation et d’accompagnement en démarrage d’entreprises collectives. Pour leur part, les CAE regroupent des personnes ayant chacune un projet entrepreneurial différent des autres et qui se dotent d’une même bannière pour partager des frais par exemple. Il y a eu au Québec quelques initiatives du type CAE, en mode coopérative, que n’ont malheureusement pas réussi à perdurer au-delà de quelques années, surtout pour des questions liées à l’application de la Loi sur les coopératives.
Il y a aussi de nouveaux projets d’incubateurs qui se dessinent et qui ressemblent beaucoup plus aux CAE dans le sens qu’ils offrent un soutien administratif et technique aux entrepreneurs collectifs, mais c’est encore embryonnaire… à suivre.
Pour revenir au Centre d’entrepreneuriat en économie sociale du Québec, nous avons pour mission d’aider les promoteurs de projets collectifs à démarrer des entreprises d’économie sociale, soit des organismes à but non lucratif ayant un projet « économique », soit des coopératives. Nous avons aussi développé un service de jumelage d’entrepreneurs collectifs, nommé « Innove à 3 ». Ce service est dédié aux personnes ayant un projet collectif, mais sans associés, ainsi qu’à celles ayant un esprit entrepreneurial mais sans projet et qui seraient intéressées à se joindre à un(e) promoteur(trice).
Nous sommes, à ce jour, uniques dans notre genre, car nous desservons en amont les personnes ayant une idée d’entreprise collective (et non d’entreprise sociale), mais qui n’ont pas encore validé cette idée et encore mois rédigé un plan d’affaires. Au Québec, il existe une multitude d’organisations d’aide au démarrage d’entreprise (autant pour l’entreprise privée que collective), mais cette aide arrive une fois que le promoteur ou le groupe promoteur à fait les premières démarches (étude de marché ou de faisabilité) et que le projet répond aux critères de développement économique de chaque organisation. Nous avons décidé de n’appliquer aucun critère, autre que vouloir démarrer une entreprise d’économie sociale, et d’offrir aux entrepreneurs collectifs l’espace et les outils pour valider la faisabilité du projet et le cas échéant planifier sa mise en place.
Nous sommes aussi uniques, parce que nous avons décidé de ne pas faire de distinction quant au statut juridique des entreprises collectives (OBNL ou coopérative) dans la sélection des projets à aider. La raison est simple : la plupart des entrepreneurs en phase de pré-démarrage n’ont pas encore réfléchi à cette question. Nous leur offrons du temps et des conseils pour se faire une tête là-dessous. Certains se rendent compte qu’ils ne sont pas faits pour l’économie sociale et c’est très bien pour nous !
Une dernière particularité en termes de choix : nous ne dépendons d’aucune subvention ni aide financière gouvernementale ou privée.

Ressources Solidaires : L’économie sociale est une forme différente d’entreprendre, de consommer, de produire. Selon toi, c’est LA solution à la crise mondiale ?

Maricarmen Merino : Je dirais que c’est UNE solution à la crise mondiale. L’économie sociale peut en effet contribuer pour beaucoup, mais elle ne peut pas le faire toute seule. Je crois que le politique a un rôle primordial à jouer, pour ne pas dire essentiel, car c’est sur la classe politique que LA principale solution repose. Ce n’est pas l’économie sociale qui régule et légifère les marchés, la fiscalité, les échanges commerciaux, la protection de l’environnement, etc.
Cela dit, il me semble que l’humanité et la planète se porterait mieux avec plus d’économie sociale dans nos vies !

Ressources Solidaires : Nous sommes en relation sur les réseaux sociaux. L’électronique rapproche les continents. Penses tu qu’ils permettent également de faire évoluer les réflexions et initiatives des acteurs par les confrontations de pratiques ?

Maricarmen Merino : Absolument ! Je crois que nous avons intérêt à profiter des possibilités technologiques pour ouvrir des nouveaux « territoires » d’échange et de partage. J’imagine qu’un jour on pourrait organiser une rencontre internationale à distance qui permettrait à un plus grand nombre d’organisations d’y participer puisqu’on n’aurait pas besoin de se déplacer ! C’est un rêve…

Autres articles dans cette rubrique

Interview exclusif avec Maricarmen Merino, Présidente, fondatrice et Responsable de la formation, du Comité d’entrepreneuriat en Economie Sociale du Québec (CEESQ)

Ressources Solidaires : L’économie sociale au Québec, vue de France, c’est 10 ans d’avance. Et pourtant, à quelques mois près, nos deux territoires ont adopté (ou adopte en ce moment pour la France) une...

close