Les associations de solidarité face aux logiques de mise en concurrence

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Les associations de solidarité face aux logiques de mise en concurrence

Les relations entre collectivités publiques et associations du secteur sanitaire, social et sociojudiciaire
sont marquées par un passage d’une logique de partenariat à une logique de
prestation de service par le biais de la mise en concurrence. Face à cette tendance de fond,
quels sont les attentes, conséquences et risques ? Comment faire évoluer positivement les
pratiques ?
Une mise en concurrence exponentielle sur les territoires
Une forme de régulation dans le cadre de mécanismes de mise en concurrence des acteurs est entrain
d’émerger. La définition du partenariat entre collectivités publiques et associations en est quelque peu
dénaturée, se transformant de plus en plus en une relation de donneurs d’ordre à prestataire.
Sur le terrain, certaines autorités organisent des appels d’offres formalisés ou des « appels à projets ».
Ainsi, plusieurs Conseils généraux ont récemment décidé, dans le secteur de la prévention spécialisée,
de recourir aux énoncés du code des marchés publics pour des activités qui relevaient de la loi du 2
janvier 2002 et n’étaient pas jusqu’à présent mises en concurrence même si, dans les faits, des projets
sur les mêmes publics portés par plusieurs associations d’un même territoire pouvaient être
concurrents.
De plus, le projet de loi hôpital, patients, santé, territoires propose de supprimer les comités régionaux
de l’organisation sociale et médico-sociale (CROSMS) et de les remplacer par des commissions de
sélection consultatives d’appel à projet social ou médico-social chargées de donner un avis à
l’administration avant que soit délivrée l’autorisation. La notion d’appel à projets, qui n’a pas de contours
juridiques précis, induit une mise en concurrence tacite entre les porteurs de projets.
A côté du développement de ces nouvelles logiques, un certain nombre de structures, notamment dans
les secteurs de la petite enfance, de l’insertion, du socio-judiciaire ou de la prévention spécialisée sont
de plus en plus souvent directement confrontées aux mécanismes formels de la commande publique
dans le cadre de marchés publics de services ou de délégations de service public.
Les associations sont non seulement confrontées à des mises en concurrence entre elles mais
également avec le lucratif qui pénètre progressivement des secteurs qui leur étaient habituellement
dévolus, en particulier les services à la personne et la petite enfance. Cette évolution a été favorisée par
les mécanismes tendant à solvabiliser directement l’usager et à déréguler l’activité. On peut citer le droit
d’option instauré entre le régime de l’agrément prévu par la loi de 2005 et celui de l’autorisation prévu
par la loi 2002/2, qui vise à favoriser le développement du secteur des services à la personne.

Ce passage d’une logique de partenariat à une logique de prestation de service dans les relations
entre pouvoirs publics et associations s’inscrit plus globalement dans un contexte de fortes mutations
avec de nombreuses réformes en cours :
- mise en place de la loi organique des lois de finances (LOLF) accompagnée du développement
d’une série d’indicateurs visant à évaluer l’efficacité de l’emploi des fonds publics ;
- révision générale des politiques publiques ;
- naissance des agences régionales de santé (ARS) ;
- mise en place de dispositifs visant à inciter les associations à coopérer, se regrouper et
contractualiser au niveau de l’organisme gestionnaire afin d’atteindre une taille critique et
réduire ainsi la quantité d’interlocuteurs, notamment pour les discussions budgétaires [1].

Les vertus attendues de la mise en concurrence

Le rapport « Pour un partenariat renouvelé entre l’Etat et les associations » paru en 2008 [2] est
révélateur de ce passage de la culture de subvention à celle de la commande publique.

Le recours à la commande publique et à la mise en concurrence du secteur associatif de solidarité
trouve son origine, côté collectivités publiques, dans une série d’arguments parant la commande
publique de toutes les vertus : clarification des relations entre associations et pouvoirs publics et
suppression des monopoles et autres « rentes de situation » ; transparence et sécurité juridique
accrues ; rationalisation de l’action publique ; coût moindre dans le cadre d’un mieux disant économique
 ; souplesse et efficacité de l’offre ; prévention d’éventuels contentieux, etc.

Quelles sont les vertus réelles de cette logique ? Les risques (stérilisation de l’initiative associative,
fragilisation des petites associations, etc.) ne sont-ils pas insuffisamment pris en compte à ce jour par
les collectivités publiques ?

Une capacité d’initiative fragilisée

En amont de leur participation croissante aux politiques publiques, les associations ont historiquement
été à l’origine de nombre d’initiatives en matière d’action sociale et médico-sociale en apportant des
réponses à des besoins non couverts par les secteurs public et privé lucratif, et ont développé une
capacité d’innovation et d’adaptation aux réalités sociales. Nombre de services et établissements
sociaux sont ainsi nés de l’initiative privée non lucrative de proximité, par exemple : l’hébergement
d’urgence, la prévention de l’expulsion locative, l’offre de soins gratuits les personnes défavorisées, les
boutiques de jour dans le secteur de la lutte contre les exclusions ou encore la médiation pénale dans
le secteur socio-judiciaire. Nombreuses sont les initiatives expérimentées par le secteur associatif puis
institutionnalisées par la puissance publique.

Or, les logiques de mise en concurrence placent les associations uniquement comme prestataires des
pouvoirs publics sur la base d’un cahier des charges élaboré de façon unilatérale et ne leurs permettent
pas d’exercer leur capacité d’initiative et de repérage des besoins.

Les évolutions en cours semblent aussi refléter une tendance des pouvoirs publics à vouloir mettre
sous tutelle le secteur associatif. Ainsi, le Haut Commissaire aux solidarités actives contre la
pauvreté avait proposé, fin 2008, de repenser la politique de prise en charge des sans-abri et de créer
un véritable service public de la grande exclusion dans lequel les associations deviendraient
« délégataires de ce service public », liées au service public, suscitant la controverse au sein des
associations de lutte contre la pauvreté. Les associations ne peuvent se voir déléguer des missions de
service public, au risque de perdre leur autonomie, et ainsi leur pouvoir d’initiative, de détection des
besoins, d’innovation.

Le projet des associations est de répondre aux droits fondamentaux des personnes dans le cadre du
maintien de la mixité sociale (accueil de tous les publics ; pas de sélection par le risque, la lourdeur de
la maladie, du handicap ou par l’argent) pour privilégier le maintien de la cohésion sociale. Il vise aussi
à consolider la solidarité territoriale de proximité par l’action conjuguée de plusieurs acteurs au service
d’un même projet (administrateurs, bénévoles, volontaires) associant la fraternité à la solidarité.

Enfin, la mise en concurrence peut conduire à altérer le rôle contributif des associations dans la coconstruction
de l’intérêt général et à effacer leur intervention en tant que corps intermédiaire visant à
tempérer les excès de l’Etat et du secteur privé lucratif. La fonction démocratique des associations
est alors interrogée. Le contentieux ayant opposé en 2008 la CIMADE au Ministère de l’immigration en
est un exemple éclairant : à travers la procédure de marchés publics pour la mise en oeuvre des
activités de soutien aux retenus dans les centres de rétention administrative (CRA), la fonction même
de « contre-pouvoir » et de vigie exercée par la CIMADE dans les CRA a été remise en cause.

Le risque d’une concentration des acteurs et d’une offre de services formatée
Contrairement aux objectifs de certaines collectivités territoriales de défaire des « monopoles
associatifs » historiques par l’introduction de mécanismes de mise en concurrence visant à susciter une
émulation et à mobiliser de nouveaux acteurs, il existe un risque de voir certains opérateurs lucratifs et
non lucratifs répondre de manière systématique aux appels d’offres, avec une disparition des petites
structures. Le maillage associatif sur les territoires et les initiatives locales inscrites au plus près des
populations se retrouveraient ainsi remis en cause.

Paradoxalement, cette nouvelle logique pourrait conduire à reconstruire de nouveaux monopoles
d’activité conduits par des opérateurs de grande taille. En effet, les logiques de mise en concurrence,
en particulier celles s’inscrivant dans le cadre formalisé de la commande publique, requièrent une forte
technicité et risquent donc d’éliminer les petites associations locales qui ne sont pas à même d’y
répondre alors qu’elles disposent d’une connaissance des populations et d’un savoir-faire en termes de
prise en charge.

C’est pourquoi il est important que les petites associations, avec l’aide des réseaux, se dotent d’outils
adaptés leur permettant de collaborer et de mutualiser des ressources, faute de quoi les réponses
sociales pourraient être assurées par des opérateurs lucratifs et non lucratifs nationaux sans lien avec
leur territoire d’intervention, sans ancrage local, avec les risques de formatage de la réponse et de
vision à court terme liée aux seuls impératifs économiques.
Un autre écueil réside dans la mise en concurrence des associations entre elles sur un même un
territoire.

En ce sens, les enjeux de mutualisation et de coopération inter associative sont forts ainsi que ceux liés
à l’élaboration de codes de bonne conduite et de dynamiques de coopération et de concertation.

Des critères quantitatifs de performance au détriment de la qualité de
l’intervention sociale

L’application de critères quantitatifs de performance contenus dans les appels d’offre semble
contradictoire avec les méthodes, les objectifs et contraintes de l’intervention sociale. Le travail social
doit être envisagé dans la durée faisant place à l’écoute et à l’humain et requiert donc davantage
l’élaboration de critères qualitatifs de performance.

Pour se conformer aux exigences de rendement en termes de volume, de temps, de rationalité, les
associations qui s’inscrivent dans les logiques d’appel d’offres sont conduites à effectuer une sorte de tri
entre les bénéficiaires au détriment des situations les plus difficiles et des personnes les plus
défavorisées.

Les premiers retours de l’application du code des marchés publics par les collectivités locales pour
l’accompagnement des publics relevant de l’insertion par l’activité économique (IAE) montrent un risque
avéré de dérive de l’objet même de l’IAE qui pousse les structures à se concentrer sur les publics les
moins en difficulté et à effectuer une sorte « d’écrémage », ce qui ne correspond pas à la mission
originelle de ce secteur.

Quelles conséquences en termes d’emploi, de qualité et de viabilité économique ?

La mise en concurrence entre prestataires pour la fourniture de service devrait tenir compte de la
situation des salariés et de l’emploi. Ainsi, les critères de sélection dans l’appel d’offre devraient
considérer la qualité des emplois, ce qui ne semble pas toujours être le cas. Une focalisation sur le seul
critère de coût risque de remettre en cause les efforts entrepris pour améliorer la qualité des emplois
dans de nombreuses associations (réduction du temps partiel subi, hausse des rémunérations,
accompagnement des contrats aidés dans des parcours d’insertion professionnelle qui supposent du
temps, etc.).

L’utilisation de la mise en concurrence pour un service sur des durées de contrats parfois très courtes
conduit en outre à une déstabilisation des salariés et de l’organisation du travail au sein de la structure,
avec des conséquences pour les usagers en termes de qualité du service rendu. Les salariés peuvent
ainsi voir leurs employeurs changer régulièrement au gré des appels d’offre. La mise en place d’une
organisation du travail efficace et soucieuse de la qualité du service rendu aux usagers suppose que les
salariés soient gérés par un employeur stable, dans la durée.

Enfin, la fin d’un marché n’entraîne pas automatiquement la reprise du personnel par le nouveau
titulaire du marché. Reprendre le personnel du titulaire précédent n’existe que dans l’hypothèse d’une
poursuite de l’activité dans les mêmes termes. Les conséquences sont donc susceptibles de porter
atteinte à la pérennité de la structure qui perd le marché.
Plaider pour un nouveau partenariat et un financement pérenne

L’Uniopss souhaite aujourd’hui réaffirmer avec force l’attachement au principe de relations partenariales
respectueuses des rôles de chacun et chercher les articulations possibles avec une commande
publique socialement responsable.

Au-delà des vertus et défauts des modalités de financement de l’action sociale (commande publique
versus subvention) et des arguments contradictoires mis en avant, l’Uniopss souhaite promouvoir des
principes permettant de garantir un véritable partenariat et un financement pérenne afin de pouvoir
assurer une réponse adaptée et de qualité :
- travail social inscrit dans la durée et dans la proximité ;
- co-responsabilité et co-construction dans le temps de relations fondées sur la réciprocité et
l’échange ;
- ancrage territorial ;
- mobilisation et participation locales ;
- coopérations responsables et soucieuses du projet social.

Le recours aux logiques de l’appel d’offres peut être tout à fait pertinent en cas de carence de l’offre sur
certains territoires, permettant de susciter de nouvelles réponses et d’éviter des choix arbitraires. Il est
alors possible de promouvoir une commande publique socialement responsable et transparente
dans le cadre des critères sociaux et environnementaux prévus par le code des marchés publics.

Ce qui est préoccupant, c’est la systématisation de la logique de l’appel d’offres.

Dans les prochains mois, le réseau Uniopss-Uriopss s’attachera à interpeler les collectivités
publiques quant aux risques d’une systématisation du recours à la mise en concurrence.
En parallèle, le réseau poursuivra son travail d’approfondissement et de modernisation des
spécificités des interventions associatives, notamment en remobilisant le niveau politique de
l’association, pour éviter de cantonner celle-ci à un simple prestataire, instrument de politiques
publiques.

[1Voir sur ce point le cahier N°20 de l’Uniopss sur les Contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens.

[2Rapport de Jean Louis Langlais, inspecteur général honoraire de l’administration, intitulé « Pour un partenariat renouvelé entre
l’Etat et les associations », 2008.

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