La grande duperie

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La grande duperie

Décidément, on refuse de changer la logique profonde de l’économie. On continue d’en appeler à la croissance de la consommation pour le plus grand profit des firmes hyper-concentrées portant grandes enseignes et grandes marques. Pour satisfaire cet objectif bien peu original, la méthode dite de « l’arbre qui cache la forêt » a été choisie. L’arbre est cette opération politico-médiatique par laquelle on espère attirer massivement les chalands dans les allées des « hypers » afin qu’ils viennent docilement y vérifier, calculette en main, la baisse des prix annoncée. Là réside le premier temps de la duperie. Il sera quasiment impossible aux pouvoirs publics - et ils le savent - de vérifier si les prix ont baissé et de combien ils ont baissé. Qui peut nous faire croire qu’à l’heure des restrictions budgétaires le ministère de l’économie va se donner les moyens coûteux d’un tel contrôle ? Pire, comme les plus grosses ficelles sont parfois les moins visibles, on est allé jusqu’à prétendre que cette baisse minuscule des prix marquait le point de départ d’une lutte acharnée contre les « marges arrière ». Quand on sait que celles-ci peuvent dépasser 40% du prix de vente des produits et qu’elles sont profondément ancrées dans des habitudes prises par les géants de la distribution, on imagine mal qu’un tout petit coup de pouce aux étiquettes vers le bas - en admettant qu’il soit avéré - suffise à écorner la toute-puissance des dominateurs du marché. La forêt, quant à elle, est la poursuite - voire l’accélération - de la construction de nouvelles grandes surfaces ou l’agrandissement sensible de celles qui existent déjà. On renonce, sans oser le dire vraiment, à limiter le phénomène par lequel la France détient depuis longtemps et de très loin le record européen du nombre de mètres carrés de GMS par habitant. Ici se tient le second temps de la duperie.

L’annonce publicitaire de la baisse des prix, orchestrée par le politique et les médias de masse - qui n’aura donc pas coûté un centime aux intéressés, - va permettre la croissance des chiffres d’affaires dans des magasins aux rayons multipliés. Pour qui douterait encore du stratagème, il suffit d’observer sur la scène locale, loin des lambris de Bercy, les grandes manœuvres perpétuelles des bulldozers et l’empressement des élus à venir se montrer à l’ouverture des nouveaux temples de la distribution radieuse. Cela vaut bien une petite promesse de baisse des prix de 2% !

Cette affaire nous révèle les deux visages de l’État libéral. Ministre de l’Intérieur, M. Sarkozy martelait inlassablement le rappel à l’ordre et proclamait chaque jour la nécessité du respect de la loi. Dans sa nouvelle fonction, le même homme, ignore superbement les lois qui ont jalonné, certes infructueusement, le dernier quart de siècle en matière de contraintes portées à l’extension du phénomène de la Grande distribution. Rappelons, pour l’anecdote, que la dernière de ces lois porte le nom de M. Raffarin. Les deux visages de M. Sarkozy ne sont en rien contradictoires : il faut que l’ordre règne en apparence pour que les affaires croissent en coulisses. Et puis, quand on a un frère numéro deux du Medef, est-il facile de rester neutre ? Une fois encore, le profit de la France d’en-haut prend le pas sur le pouvoir d’achat de « la France d’en-bas ».

Cette duperie manifeste, associée à l’avancée cavalière de la période des soldes et à l’extension de l’ouverture des magasins le dimanche - à laquelle M. Sarkozy tient également beaucoup -, va porter un nouveau coup aux conditions sociales des employés de la grande distribution - déjà trop souvent précaires - et au commerce de proximité ; tant pis pour les personnes âgées, tant pis pour ceux qui ne souhaitent pas utiliser la voiture pour faire leurs courses : on pollue, on pollue l’air et les territoires.

Yann Fiévet
Vice-Président d’Action consommation

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