Parlons RSE, chiffres de l’ESS avec Karine Fenies Dupont, Responsable Observatoire CRESS Pays de la Loire

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Parlons RSE, chiffres de l'ESS avec Karine Fenies Dupont, Responsable Observatoire CRESS Pays de la Loire

Ressources Solidaires : Vous êtes responsable de l’observatoire de l’ESS en Pays de la Loire. Les chiffres sont agrégés au niveau national au sein de l’observatoire national qui publie le panorama de l’ESS. La source principale est l’INSEE, issue elle-même des DADS. Ne touche-t-on pas la limite d’un secteur défini par des statuts juridiques et des principes de fonctionnement ? L’objectivité des chiffres rencontre la subjectivité des idées.

Karine Fenies Dupont : A l’origine, la mise en œuvre de la fonction d’observation de l’économie sociale et solidaire est liée à la conjonction de trois phénomènes :
- La montée en puissance du secteur de l’économie sociale et solidaire mesurée par le dynamisme de création d’établissements et d’emplois ;
- La faible visibilité de cette réalité, due à la spécificité de l’observation du secteur de l’économie sociale et solidaire et au manque de moyens de diffusion de l’information produite ;
- La nécessité de disposer de données fiables permettant d’orienter les choix stratégiques de développement de l’économie régionale adaptés aux besoins des populations

Dès lors, un périmètre statistique de l’Économie Sociale a été établi et harmonisé en 2007 en lien avec l’INSEE, la Délégation Interministérielle à l’Innovation, à l’Expérimentation Sociale et à l’Économie Sociale (DIIESES) et le Conseil National des Chambres de l’Économie Sociale (CNCRES). Il est constitué d’un ensemble de catégories juridiques (société mutuelle, SARL ou SA coopérative, associations, etc...) dont sont exclues certaines activités définies par le code APE de l’établissement : administration publique, organisations patronales et consulaires, syndicats de salariés, organisations politiques ou religieuses.

Les données Insee (Clap, Dads et Sirene) utilisées portent sur les seules structures ayant une fonction d’employeur, c’est-à-dire celles qui ont déclaré au moins un contrat de travail dans l’année étudiée. Elles ne permettent pas encore d’observer les sociétés commerciales qui respectent les conditions prévues dans la loi ESS (adoptée le 31 juillet 2014) et qui peuvent porter la mention d’entreprises de l’ESS.

Je me permets également de souligner que les chiffres ne sont pas agrégés au niveau national.
L’observatoire national anime le réseau des observatoires régionaux de l’ESS, notamment grâce à 3 rencontres du réseau, au cours desquelles nous mutualisons une commande de données auprès de l’INSEE (préparation des croisements de données que nous soumettons à l’Insee pour devis). Cette commande permet d’élaborer l’atlas national de l’ESS, et au plan régional, départemental et infra-départemental (EPCI, pays, zones d’emploi, communes) des bilans ou panorama de l’emploi. Les observatoires sont ainsi en capacité de répondre aux sollicitations des réseaux, des organisations, de collectivités…

Nous rencontrons une 1ère limite car l’ESS au sens de la loi du 31 juillet ne se cantonne pas aux entreprises, organisations, structures employeuses ; ce serait nier le rôle des bénévoles qui permettent l’existence et la mise en œuvre d’entreprises de l’ESS dans le secteur associatif sans pour autant qu’il y ait d’emplois salariés.
Malheureusement, cette limite n’est pas la seule… Le dernier colloque de l’ADDES, en mars 2015, s’intitulait « Les chiffres sur l’économie sociale et solidaire : où en est-on ? ». Lors de cette intervention, mon homologue de la région PACA a évoqué les limites de l’observation de l’ESS, et plus précisément les limites territoriales :

1/ Accessibilité des données
2/ Coût des données
3/ Qualité des données
4/ Difficultés du secret statistique
8/ Évolutions dynamiques : observation des stocks et non des flux

Pour autant, cet outillage statistique nous offre la possibilité de se mesurer, de mieux se connaître et d’être reconnu… Les observatoires sont identifiés comme ressource sur leur territoire, et la Loi 2014 indique, parmi le socle des missions des CRESS : « la contribution à la collecte, exploitation et mise à disposition des données économiques et sociales de l’ESS », et « la tenue, mise à jour et publication de la liste des entreprises de l’ESS ».
Néanmoins, l’intérêt d’un observatoire est d’apporter plus que du « chiffre », et surtout de ne pas confirmer l’adage « Tout ce qui ne se compte pas, ne compte pas ! ». Le rôle de l’observation doit aussi être de porter un regard critique, susciter l’interrogation, remettre en question, faire preuve de neutralité sur le fonctionnement d’un secteur, d’une famille juridique, d’un territoire. L’observatoire doit, en outre, être un outil d’aide à l’identification des opportunités, des projets en émergence, des enjeux locaux et transversaux, en se positionnant dans une démarche prospective.

Ressources Solidaires : Les chiffres publiés par les différents observatoires régionaux et le national montrent une ESS dans une « plutôt bonne forme » : création d’emploi, d’organismes, présence sur les secteurs émergents… Avez-vous senti, observé, analysé un effet de la loi 2014 ?

Karine Fenies Dupont : De par nos missions à la CRESS et un certain nombre de nos membres, on a connaissance effectivement d’un nombre d’initiatives, de porteurs de projet, d’intérêts croissants pour entreprendre en ESS tant dans des secteurs historiques (recyclage, médico-social…) que dans des secteurs émergents (gaspillage alimentaire, écoconstruction, déplacements doux, financement participatif…). La loi ESS a pour mérite de donner à voir cette autre économie, cette autre manière d’entreprendre qui existe depuis longtemps dans notre société. Elle joue un rôle de ‘’révélateur’’ comme le fait à sa manière un photographe. De ce fait, elle entraîne une meilleure lisibilité, et une, prise de conscience de cette autre manière d’entreprendre.
La loi ESS vient également apporter des clarifications et des leviers de financement pour l’ESS même si toute la dynamique n’est pas encore totalement déployée. Il faudra encore plusieurs années pour pouvoir mesurer et analyser précisément ses effets. En attendant, les choses bougent déjà beaucoup !

Ressources Solidaires : Sujet régulier de débat entre nous, dans le cadre vos missions, vous intervenez régulièrement sur les questions de RSE. Sans tomber dans une « pseudo vertu », l’ESS n’a-t-elle pas inventé la RSE en créant des entreprises durables (réserves impartageables) et dirigées collectivement (gouvernance démocratique) ? La RSE, outil de la sphère capitaliste, ne s’est-elle pas imposée à nous sur la (légitime) pression environnementale ?

Karine Fenies Dupont : Pour la Commission Européenne, la Responsabilité Sociétale se traduit par « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elle exerce sur la société ».
C’est donc la prise en compte des enjeux globaux à une échelle plus locale, celle de l’entreprise ancrée sur son territoire qui intègre de manière volontaire les externalités économiques, sociales et environnementales de son activité. C’est un engagement qui permet d’évaluer et d’améliorer les pratiques de l’entreprise en fonction de ses impacts sur la société et ainsi travailler sur les avantages/inconvénients/impacts d’une action. Celle-ci permet de replacer la question humaine au cœur du modèle économique afin de rappeler les raisons d’être et les valeurs de l’activité. L’environnement n’étant qu’un des quatre domaines de la responsabilité sociétale !

Pourquoi s’être intéressée à une démarche autour de la Responsabilité Sociétale avec les entreprises de l’ESS en Pays de la Loire ?
Depuis 2009, différents travaux ont été menés par la CRESS sur le thème du développement durable et de la responsabilité sociétale (études sectorielles, participation à la mise en œuvre de la charte RGE avec la Ville de Saint-Herblain, membre fondateur de la Chaire Développement Humain Durable & Territoires, collaboration avec le Comité 21,…). Un document pilote « Développement Durable et Responsabilité Sociétale des acteurs de l’ESS a permis de fixer un cadre philosophie, et unanimement partagé par les adhérents.
Beaucoup reconnaissent dans le secteur de l’Economie Sociale et Solidaire des prédispositions à atteindre un haut niveau de responsabilité sociétale. En effet, les structures de l’ESS ont pour point commun le respect des principes fondamentaux suivants repris pour certains par le concept de responsabilité sociétale des entreprises : l’homme au cœur de l’économie, la libre adhésion, la gouvernance démocratique et la redistribution des excédents au service du projet.
L’enjeu est avant tout pour les acteurs de l’ESS de formaliser des pratiques qui existent déjà dans les structures mais également d’engager une démarche d’amélioration continue au regard des différentes responsabilités.

Il nous parait important de se saisir de cette problématique au regard du contexte actuel. En effet, les évolutions règlementaires liées à la Loi Grenelle 2 accélèrent la prise en compte de la RSE pour les entreprises ayant plus de 500 salariés qui sont dans l’obligation depuis 2013 de fournir un rapport extra-financier basé sur un reporting RSE. Dans les années à venir, ce seuil sera abaissé au point que toutes les entreprises seront amenées à produire un rapport RSE. Par ailleurs, au regard de la volonté de plus en plus marquée des collectivités d’intégrer des clauses RSE dans les marchés publics, il semblerait que les structures de l’ESS puissent être impactées par ces mesures de conditionnalité des aides publiques en matière de développement durable.
Pour toutes ces raisons, nous pensons que les structures de l’ESS doivent commencer à réfléchir à une formalisation de leurs pratiques. En outre, cette formalisation permet aux structures de l’ESS de réinterroger leur projet associatif, coopératif ou encore mutualiste et ainsi de se doter d’un outil autant opérationnel (management, organisation) que politique (vision stratégique à long terme). Il convient, sur ce point, d’insister sur le fait qu’entrer dans une démarche RSE n’est pas aussi contraignant que cela en apparait _ cela prend du temps, certes _ et ne demande pas un double travail à condition que le projet politique et stratégique et la démarche RSE ne fasse plus qu’un !

Il s’agit de rentrer dans une logique constructive d’actions par l’Économie Sociale et Solidaire, c’est-à-dire, oser proposer, oser innover afin de faire bouger nos lignes, nos repères et s’inscrire pleinement comme acteurs d’un développement plus durable et d’une économie plus humaine.

Pour finir, je citerai Hélène COMBE DE LA FUENTE MARTINEZ, qui a été titulaire de la chaire partenariale « développement humain durable et territoires » et déléguée générale de l’Observatoire de la décision publique, et qui nous a quittés bien trop tôt :
« Dans cette approche, les acteurs de l’ESS ont donc un rôle majeur à jouer à partir du moment où ils acceptent de réinterroger leurs pratiques et de se demander quelle est leur part d’innovation et d’audace par rapport aux fondateurs de l’économie sociale au 19ème siècle. Aujourd’hui, il est essentiel de se donner le droit d’imaginer d’autres manières de faire. ».

Ressources Solidaires : La Loi de 2014 introduit l’entrepreneuriat social comme composante pleine et entière dans l’ESS. Combien d’entreprises sociales sur la région ? Combien d’emplois sont concernés ? N’y a-t-il pas, là encore, une vision déformée entre « ce qui relèveraient d’une idée sociétale plutôt intéressante » et la réalité des entreprises concernées ?

Karine Fenies Dupont : La Loi 2014 n’introduit pas précisément l’entrepreneuriat social. Le périmètre de l’ESS inclut les acteurs historiques de l’Économie Sociale, que sont les associations, les mutuelles, les coopératives et les fondations, mais intègre également de nouvelles formes d’entreprenariat. Les sociétés commerciales qui poursuivent un objectif d’utilité sociale, tel que défini dans la loi, (soutien aux personnes en situation de fragilité, lutte contre les exclusions, concours au développement durable), et qui font le choix d’adopter et de mettre en œuvre les principes de l’ESS, sont ainsi désormais considérées comme des acteurs de plein droit de l’Économie Sociale et Solidaire. Sous réserve du respect de ces conditions, ces entreprises commerciales sont immatriculées, au registre du commerce et des sociétés, avec la mention de la qualité d’entreprise de l’économie sociale et solidaire.

A ce jour, nous n’avons pas connaissance du nombre d’entreprises commerciales enregistrées comme entreprises de l’ESS au registre du commerce et des sociétés et encore moins du nombre d’emplois que cela concerne, les décrets d’application étant encore trop récents. Cependant, cela ne saurait tarder ! En effet, en vertu de la loi ESS, les CRESS ont pour mission de tenir la liste des entreprises de l’ESS (toutes les entreprises de l’ESS et pas seulement les entreprises commerciales de l’ESS). Les modalités concrètes de mise en œuvre de cette mission par les CRESS sont en cours de discussion entre le CNCRESS –le réseau national des CRESS – et les services de l’Etat.
Ainsi, la Loi reconnait que « le statut ne fait pas vertu » !

La question posée maintenant à l’ESS elle-même, par-delà toutes les notions, appellations, courants de pensée, est de savoir si elle est capable de faire de sa diversité une force, de se rassembler à travers ce qui fait la ‘’marque’’ de l’ESS, une autre manière d’entreprendre.

Remettre l’économie à sa juste place (comme un moyen et non une fin en soi), repenser les pratiques de consommation des individus et des organisations, améliorer la répartition des richesses… sont donc autant de chantiers à investir par nous tous, entreprises, organisations, entrepreneurs, porteurs de projets, regroupements de l’ESS… chantiers qui nous incitent à insuffler un vent de mobilisation, de coopération autour d’un projet commun, et à améliorer sans cesse nos pratiques !

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