La consommation durable, créneau marketing ou enjeu démocratique ?

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La consommation durable, créneau marketing ou enjeu démocratique ?

Il faut certainement se réjouir que le gouvernement s’empare de ces questions et entreprenne de jouer son rôle d’information-sensibilisation envers les citoyens-consommateurs.
Ainsi, des informations de base tout à fait intéressantes sont disponibles sur le site : mise en avant du rôle des consommateurs dans le soutien aux bonnes pratiques, explication des dispositifs de certification, conseils pratiques pour économiser les ressources, consommer des produits de saison, etc.

Dans un article intitulé « La consommation durable continue sur le Net », Le Parisien (24.06.04) se réjouit du lancement du site Consodurable - qui permet de « faire le bon choix pour l’avenir de la planète » - et vante la « multitude d’informations pédagogiques fournies : un guide pour se repérer dans la jungle des labels, un abécédaire très complet, ainsi qu’une foire aux questions qui répond à (presque) tout : nos assiettes comportent-elles déjà des OGM ? Pourquoi est-il meilleur de consommer des produits de saison ? Dosez-vous correctement votre lessive ? « Nous ne faisons pas d’appel au boycottage. Nous ne voulons pas être prescriptif, juste donner envie aux Français de changer leur façon de consommer », explique Nathalie Kosciusko-Morizet, députée et présidente de l’association Consodurable. »

Cependant, en ne s’appuyant que sur le soutien et l’amplification à des initiatives (labellisées par qui ?), en ne présentant que « des informations communiquées par les entreprises ou associations professionnelles sur les engagements qu’elles ont pris ou les actions qu’elles ont réalisées dans le domaine du développement durable », on ne traite qu’un volet de la consommation responsable : les comportements et actes d’achat individuels par le choix et le soutien des bonnes pratiques. (Encore faut-il que les bonnes pratiques soient avérées. En effet, qui contrôlera ici les « informations communiquées par les entreprises » ?)

Pas un mot sur les campagnes critiques des associations écologistes et de solidarité, qui pourtant, par leurs analyses, leur expertise et leurs actions, ont fortement contribué depuis des dizaines d’années et contribuent encore au quotidien à bouger les consciences et à faire évoluer les pratiques des entreprises. Seuls, quelques rares sites associatifs sont référencés dans les « liens ».

Pas un mot sur l’économie solidaire et ses principes, sinon sur les bienfaits du commerce équitable, dont les produits sont commercialisés à 90% en grande distribution. L’agriculture biologique et l’agriculture raisonnée sont présentées dans la même rubrique.

Pas un mot sur le rôle de la distribution dans la chaîne d’approvisionnement, pourtant maillon essentiel dans le rapport de forces entre producteurs et consommateurs, en particulier lorsqu’il s’agit de multinationales extrêmement puissantes, par leur pouvoir de négociation auprès des producteurs, par leur pouvoir de séduction auprès des consommateurs et par leur pouvoir d’influence auprès des politiques.

Aucune analyse de fond sur le fonctionnement du commerce et de l’économie dans un système de libre-échange mondialisé, régi par une dérégulation bien réglementée, dans lequel le pouvoir toujours croissant des multinationales leur confère une influence considérable sur la prise de décisions réglementaires, aux niveaux international, régional, national et local. Assez logique, quand 51 entreprises figurent parmi les 100 premières puissances économiques mondiales, devant de nombreux Etats.

Ni aucune référence à la politique de l’Etat français qui réduit drastiquement son soutien aux associations (allant jusqu’à remettre en cause des conventions pluriannuelles déjà signées), diminue de 70% en deux ans le budget de la Délégation interministérielle à l’innovation sociale et à l’économie sociale (DIES) , consent à la grande distribution des extensions de superficie au mépris des législations existantes, du petit commerce, de la qualité de l’emploi et de l’environnement, et applique de façon générale des politiques profitant aux grandes entreprises, où les critères économiques et financiers priment de très loin sur les aspects sociaux.

Pourtant, les citoyens-consommateurs ont également droit à ces informations pour juger en connaissance de cause.

Présentation de l’association Consodurable sur le site consodurable.org
"De nombreuses entreprises s’attachent à manifester leur responsabilité sociale et environnementale. Les Pouvoirs publics entendent soutenir et amplifier ces initiatives. C’est l’objet de Consodurable."
"Tous les acteurs intéressés sont appelés à se mobiliser pour agir, chacun, pour le mieux vivre de tous. Pour notre avenir à tous. Pour l’avenir de nos enfants."

Extrait des statuts
« Cette association a pour objet de créer, de développer et d’administrer, dans un but d’intérêt général, un site Internet mettant à la disposition des consommateurs toutes informations relatives aux actions engagées dans le domaine du développement durable par les entreprises ou associations professionnelles actives dans le secteur des biens de grande consommation.
A cette fin, le site présente des informations générales éclairant les acheteurs dans le domaine du développement durable et des informations communiquées par les entreprises ou associations professionnelles sur les engagements qu’elles ont pris ou les actions qu’elles ont réalisées dans le domaine du développement durable. »

Bref, il n’y a plus qu’à suivre le mode d’emploi…
Et honte à vous si vous ne passez pas à l’acte !
Quand on dit qu’il suffirait que les consommateurs changent leurs pratiques pour que change le monde…

Mais au vu du poids économique que représentent certains partenaires du projet, faut-il s’en étonner ? :
ANIA - Association nationale des industries alimentaires
MEDEF - Mouvement des entreprises de France
FCD - Fédération des entreprises du commerce et de la distribution
AFISE - Association française des industries de la détergence, de l’entretien et de l’hygiène
CGPME - Confédération générale des petites et moyennes entreprises
FIEEC - Fédération des industries électriques, électroniques et de la communication
CLIFE - Comité de liaison des industries françaises de l’emballage

On apprend aussi que Euro RSCG (division du groupe de communication Havas) fait partie du « Comité de validation ». Euro RSCG, c’est le conseil en communication qui avait orchestré la scandaleuse campagne de Carrefour « Mieux consommer c’est urgent ».

Les actions des entreprises mises en avant sont à l’avenant.
Dans la rubrique « entreprises » : les nouveaux sacs de caisse d’Auchan éco-labellisés.
Dans la rubrique « associations » :
• « L’industrie alimentaire s’engage dans le développement durable » par l’ANIA, avec 12 programmes d’action, parmi lesquels : « Consolider la vocation exportatrice des industries alimentaires », « Renforcer l’attractivité de l’industrie alimentaire auprès des jeunes ». (En quoi ces deux programmes d’action contribuent-ils au développement durable ??)
• « La Fédération du Commerce et de la Distribution lance l’opération « Sacs de caisse et Développement Durable : modifions ensemble les comportements ! » »
• « Initiative Clause Sociale : les entreprises de la Fédération du Commerce et de la Distribution s’engagent à responsabiliser leurs fournisseurs »

Tant que les acteurs de la grande distribution pourront se contenter d’encourager leurs clients et leurs fournisseurs à changer leurs pratiques - ou de mener quelques actions servant merveilleusement leur communication - sans être interpellés fortement et de façon globale sur leurs propres comportements en termes de gestion du personnel, de conditions commerciales à leurs fournisseurs et de techniques publicitaires et promotionnelles, nous resterons loin du compte.
Tant que les entreprises en général, et en particulier les multinationales, pourront se contenter d’afficher de généreux objectifs de développement durable, de mettre en avant des déclarations d’intention et de revendiquer des actions positives sans contrôle indépendant, sans démarche globale, nous resterons loin du compte.

Il y a urgence, autant sur le plan environnemental que sur le plan social. Nous ne pouvons plus accepter la primeur d’intérêts économiques et financiers sur les critères écologiques et sociaux. Il s’agit de partager les richesses, qui ne cessent de croître tandis que les inégalités augmentent, au Sud comme au Nord . Il s’agit d’agir réellement, globalement et localement, pour la préservation et la restauration de notre environnement.

Pour pleinement exercer notre pouvoir et notre responsabilité de consommateur et de citoyen, nous avons besoin de comprendre et d’en savoir davantage sur le rôle, le pouvoir et l’organisation des différents acteurs de la production, de la distribution et de la démocratie.

Consommateurs, soyons attentifs à nos comportements et modes d’achat, oui, mais restons vigilants et soucieux de la qualité autant que de l’impartialité de nos sources d’information.

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