Les syndicats peuvent-ils retrouver leur voix ?

Manifestation du 1er mai 2022, à Paris. - Siavosh Hosseini/SOPA Images
Manifestation du 1er mai 2022, à Paris. - Siavosh Hosseini/SOPA Images
Manifestation du 1er mai 2022, à Paris. - Siavosh Hosseini/SOPA Images
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Alors qu'Emmanuel Macron a promis une "nouvelle méthode" pour son second quinquennat, les syndicats veulent être "entendus", en particulier sur la réforme des retraites. Alors que les défilés du 1er mai ont rassemblé plus de manifestants que l’an dernier, les syndicats peuvent-ils encore peser ?

Avec
  • Denis Gravouil Secrétaire général de la Fédération nationale CGT des syndicats du spectacle
  • Laurent Quintreau
  • Sophie Béroud Maître de conférences de science politique à l’université Lumière Lyon-2

Le quinquennat qui vient de s’achever n’a pas renforcé, c’est le moins que l’on puisse dire, les rapports entre les gouvernements et les syndicats. Mais Emmanuel Macron a promis, au soir de sa réélection, "l’invention collective d’une méthode refondée pour cinq années de mieux". Les dirigeants de la CGT et de la CFDT, qui ont appelé leurs adhérents à ne pas donner de voix à Marine Le Pen, doivent reprendre désormais leur travail de négociation sur une réforme à laquelle ils sont farouchement opposés, celle des retraites.

Mais comment faire quand, comme le dit Laurent Berger, on a été cantonnés pendant cinq ans aux seconds rôles. Est-il possible de construire un front syndical commun quand, dans le défilé du 1er mai, hier à Paris, on a plus entendu la voix d’un leader politique, Jean-Luc Mélenchon, et le bruit créé par les membres des Black-block que les propos des leaders syndicaux ?

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Pour ce débat, Emmanuel Laurentin reçoit Sophie Béroud, maître de conférences en science politique à l’université Lumière Lyon 2, spécialiste des syndicats et des mobilisations, Denis Gravouil, secrétaire de la CGT spectacle, responsable emploi-chômage à la CGT et Laurent Quintreau, secrétaire général du Betor-Pub CFDT.

Sophie Béroud met en lumière la nécessité pour les syndicats de s'adresser aux jeunes : "Il n'y a pas un rejet des syndicats mais plutôt une série d'obstacles structurels pour la mise en contact avec les jeunes salariés, en raison des types d'emplois, notamment les contrats précaires, et des secteurs d'emplois dans lesquels ils sont. (...) Il y a tout un enjeu pour les organisations syndicales à réussir à s'adresser aux jeunes (...) Il y a aussi tout un enjeu à montrer que les syndicats ne se limitent pas au rôle que leur assigne les directions d'entreprises dans ledit dialogue social. La crise environnementale peut être très importante pour s'adresser aux jeunes générations et leur montrer que le syndicalisme a un discours plus large de réflexion sur la société à construire. (...) Il faut à la fois maîtriser son calendrier interne, et faire entendre un autre calendrier que celui imposé par l'exécutif."

Denis Gravouil note l'importance pour les syndicats de toucher plus de monde afin d'organiser mieux les rapports de force : "Les populations jeunes sont les plus difficiles à toucher, mais il y a quand même des exemples de syndicats qui se sont organisés. (...) On a des gros défis à représenter mieux : les jeunes, les travailleurs précaires, les femmes. Il faut toucher encore plus de monde. (...) Je ne parierais pas qu'Emmanuel Macron ait changé d'un seul coup. On parle de dialogue mais il y a des rapports de force permanents. L'enjeu est d'arriver à faire en sorte qu'une masse s'oppose. (...) Sur la retraite, il n'y a non seulement à refuser une éventuelle réforme de report à 65 ans, mais aussi des propositions à faire. (...) Emmanuel Macron n'aura peut-être pas la majorité, il a l'opinion contre lui. Il y aura des conférences sociales. Le meilleur moyen de défendre les propositions, c'est de faire la grève, dans la rue, et revendiquer avec plusieurs entreprises. (...) Il faut gagner des droits dans les petites entreprises, chez les sous-traitants, chez les travailleurs ubérisés."

Laurent Quintreau souligne l'optimisme dont on peut faire preuve, grâce à la remise au premier plan d'un dialogue social :  "Si on se place sur des échelles de temps beaucoup plus longues, on peut se permettre un peu d'optimisme. Le fait syndical trouve sa justification dans la nécessité de donner la voix aux salariés. (...) Affaiblir les principaux acteurs de la démocratie sociale est un calcul périlleux, d'autant plus que les relations dans les entreprises sont fondées sur le dialogue. Et le dialogue est un allié puissant pour la démocratie, qui est aujourd'hui plus que jamais aux prises avec des forces qui ne lui sont pas attachées. (...) La fragmentation du salariat est une butée à l'action syndicale, on essaie d'y remédier. (...) On est en train de passer du "je" au "nous". (...) Le rôle des syndicats est de refroidir les affects, voire même de les transformer en solution, c'est-à-dire armer l'indignation collective à l'encontre de certains aspects de la réalité. (...) La construction d'un axe revendicatif qui prenne en compte la complexité du monde est fondamentale."

Bibliographie

  • Laurent Quintreau, Le moi au pays du travail - Un état des lieux, Éditions Plein jour, 2015

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