Les syndicalistes à la retraite

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Cette semaine, à l'issue du congrès de la CGT à Clermont-Ferrand, Philippe Marinez passera du côté des retraités. Pour l'anecdote personnelle, il dit que Renault qui l'avait salarié naguère va lui confier brièvement un emploi aménagé. Militant tu as été, militant tu resteras.

La continuité la vie syndicale syndicale, longtemps, n'a pas été une évidence. Au lendemain de la guerre, la CGT comme la CFTC, chrétienne, avaient créé l'une et l'autre des Unions de Vieux, ainsi parlait-on, qui restaient à la marge des structures confédérales. C'est, paradoxalement, après le mouvement de la jeunesse de 1968 que les retraités obtinrent dans les syndicats un statut de plein droit. Il n'y a plus d'un côté les nouveaux, de l'autre les anciens. Ceux-ci vont même accepter de payer des cotisations correspondant à 1% du salaire annuel et non pas un-demi. Si le syndicalisme s'affiche ainsi comme un et indivisible, c'est évidemment aussi pour des raisons démographiques. Avec l'évolution des entreprises, ls bases du recrutement vont se rétracter tandis que le vivier des anciens va s'élargir. Et puis les syndicats ne voudront pas laisser le champ libre aux innombrables structures et amicales de seniors qui se présenteront comme apolitiques, qui réussiront parfois à se fédérer mais dont les syndicats ne veulent pas que l'Etat les reconnaisse comme des organisations représentatives.

Le syndicaliste retraité, c'est une figure aussi importante que nouvelle dans le monde social.

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La CGT pour ne parler que d'elle, dispose d'une association de loisirs pour ses retraités mais si on reste syndiqué, ce n'est pas pour se la couler douce. On ne dépose pas sur le côté son sur moi militant sous prétexte qu'on devient des pensionnés. Les anciens consacrent souvent plus de temps au syndicat qu'à l'époque où ils étaient travailleurs actifs... "Je lui dois beaucoup, disent-ils, j'ai une dette à restituer". Leur investissement peut finir par se comparer à celui de permanents traditionnels. Notamment dans les Unions locales et départementales dont beaucoup ne fonctionneraient pas sans leur investissement dans les tâches quotidiennes. Cette présence discrète est une des explications de l'engagement déterminé des centrales dans la défense des retraites.

Vous voulez évoquer une figure exemplaire de syndicaliste retraité. René Boudot, dans le Pays-Haut lorrain, le bassin sidérurgique de Longwy.

Le Dictionnaire Maitron du mouvement ouvrier lui consacre une notice, évidemment. Et un universitaire écrivit un livre entier sur lui. Un professeur, Jean-Jacques Moine, marqué à jamais par un OP2, magasinier ajusteur. Quand on allait chez les Boudot, à Montigny sur Chiers, comme j'en ai eu l'occasion, la visite du grenier ne manquait pas d'étonner. Des milliers de livres, généralement achetés d'occasion ou récupérés ici ou là . Beaucoup de recueils factices joignant des tracts, des journaux de cellules, des comptes-rendus de conseils d'établissement. Le maitre des lieux croyait à l'étude et à la lecture.
Sur un mur, un crucifix de faïence : le maitre des lieux était un chrétien de gauche. Un portrait de Lénine : il était cégétiste, sans illusion sur le stalinisme. Une affiche de la campagne électorale des législatives de 1951 à laquelle il avait été candidat aux côtés de l'abbé Pierre Boudot avait été auparavant le leader d'une grève très difficile en 1948 où des cadres avaient été menacés d'être pendus, jetés dans la Chiers ou dans le gueulard d'un haut fourneau. Avec ses camarades, il avait obtenu beaucoup. Pré-retraité en 1968, il allait devenir l'incarnation dans le bassin de la Sécurité Sociale dont il avait été élu administrateur. Des milliers de personnes sont venues le consulter.
L'appui aux autres associé au refus de parvenir : le syndicaliste retraité modèle.

Le syndicaliste retraité, c'est aussi celui à qui l'âge et l'expérience permettent de dire la vérité.

Boudot refisait la démagogie. Alors que la figure de l'homme du fer lorrain était encore triomphale, il n'entonnait pas l'air préféré des communistes : la paupérisation constante du prolétariat. Il ajoutait que le syndicalisme n'était pas là pour défendre les catégories qui bénéficiaient déjà de plus d'avantages. Comme, en outre, il lui arrivait d'être bougon, inutile de dire que le vieux sachem ne plaisait pas toujours à tout le monde. L'église de Montigny sur Chiers était néanmoins pleine à craquer pour son enterrement. Il ne vit pas l'effondrement du Pays-Haut qu'il avait pressenti tant les conservatismes divers avaient borné l'horizon, empêchant de voir la concurrence internationale qui se levait. La documentation et sa bibliothèque de Réné Boudot ont été léguées aux Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle où elles occupent 76 mètres de linéaires. C'est aussi la fonction des syndicalistes retraités que de transmettre l'histoire sociale.

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