La prime de Noël racontée aux "gilets jaunes"

Les manifestations de chômeurs et chômeuses seront une épine dans le pied du gouvernement Jospin (de gauche plurielle) en 1997, 1998 et 1999, comme ici à Strasbourg.  ©Maxppp - Cédric Joubert
Les manifestations de chômeurs et chômeuses seront une épine dans le pied du gouvernement Jospin (de gauche plurielle) en 1997, 1998 et 1999, comme ici à Strasbourg. ©Maxppp - Cédric Joubert
Les manifestations de chômeurs et chômeuses seront une épine dans le pied du gouvernement Jospin (de gauche plurielle) en 1997, 1998 et 1999, comme ici à Strasbourg. ©Maxppp - Cédric Joubert
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En 1997, les chômeurs s'étaient mobilisés pour demander une prime de Noël et dénoncer des fins de mois de plus en plus difficiles... 20 ans plus tard, les gilets jaunes dressent le même constat, sauf que ce n'est pas des minimas sociaux qu'ils n'arrivent pas vivre, mais des revenus de leur travail.

Nous sommes en décembre 1997. A cette époque, on parle encore en francs, et ceux et celles qui occupent l'espace médiatique ne portent pas de gilets jaunes.

La prime, on peut l'appeler de Noël, du 14 juillet, de Pâques, mais la prime on la veut et la prime on l'aura ! François Desanti, la CGT chômeurs

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Ils sont chômeurs, chômeuses, indemnisé.es, ou pas, et demandent la revalorisation de tous les minimas sociaux + une prime de noël de 3 000 francs, ce qui correspond à 550 euros actuels si on tient compte de l'inflation.      

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3 000 francs pour se remettre à flot et finir l'année le cœur et le porte monnaie un peu plus à la fête.   Quelques mois plus tôt, le chômage a atteint son record absolu, 3 millions 200 000 personnes. 500 000 de plus qu'aujourd'hui. 

Lionel Jospin est Premier ministre depuis juin. C'est le premier conflit social de la majorité plurielle dans laquelle sont les communistes.   

L'idée d'une prime de Noël pour les chômeurs vient de Marseille. Des collectifs de chomeurs, comme AC! Agir contre le chômage, le MNCP, le mouvement des chômeurs et précaires, l' APEIS, l'Association pour l'emploi, l'information et la solidarité des chômeurs et précaires, la CGT chômeurs vont en faire une revendication nationale. En 97, mais aussi en 98, et en 99. 

Trois années de suite, juste avant les fêtes, l'agenda médiatique et politique se focalise sur cette contestation nouvelle. Nouvelle, car jusqu'alors on n'avait jamais vu les chômeurs et les chômeuses se réunir et organiser des actions.  

Les manifestations réunissent rarement plus de 30 000 personnes, mais les chômeurs et chômeuses occupent aussi des antennes Assedic, l'ancêtre de pole emploi, des bâtiments EDF, des locaux administratifs. A Paris, ils occuperont le Louvre, et Normale Sup.   

Un mouvement inattendu et populaire

"Ce mouvement est extraordinaire, unique", se réjouira Pierre Bourdieu, le sociologue, lors d'une conférence donnée dans Normal Sup occupée (ce lien permet de lire ce discours en entier)

"Les travaux scientifiques se sont trompés", reconnait l'auteur de la Misère du monde : le chômage n'enlève pas à ceux et celles qu'il frappe leurs dispositions subversives. 

La première conquête de ce mouvement, c'est son existence même dit-il : il arrache les chômeurs et, avec eux, tous les travailleurs précaires, dont le nombre s’accroît chaque jour, à l’invisibilité, à l’isolement, au silence, bref à l’inexistence.  Pierre Bourdieu.

Pour aller plus loin : Le mouvement des chômeurs de l'hiver 1997-1998. Retour sur un « miracle social »

65% des Français sondés soutiennent à l'époque le mouvement. Une bascule s'opère. Les chômeurs ne sont plus vus comme responsable de leur situation, mais victime d'un système économique de plus en plus mondial, et de moins en moins social. Comme les "gilets jaunes", ceux et celles qui participent au mouvement se méfient des médias mais sans réseaux sociaux, il faut encore faire avec. Un code de conduite intitulé "journaliste mode d'emploi" est  publié. Il énumère 9 règles pour ne pas se faire piéger, dont "ne pas hésiter à répondre à côté de la question pour marteler son message".   

Les chômeurs et chômeuses n'obtiendront jamais les 3 000 francs qu'ils demandaient mais les minimas sociaux seront revalorisés, et une prime de 1 000 francs sera accordée aux Rmistes (ex RSA) et aux chômeurs les plus en difficulté. Cette prime existe encore aujourd'hui. Elle n'est pas automatique, chaque année, les gouvernements successifs la reconduisent, ce qui leur donne un vernis social. Elle vient d'être versée, c'est 152 euros pour une personne seule. 1 000 francs 152 euros, si vous avez connu le franc vous savez que cette prime de Noël n'a pas été augmentée depuis 20 ans.  

L'Etat ne joue plus au père noël, il demande aux entreprises

Les slogans ont changé. Aujourd'hui, on crie "Macron démission", et on menace de "brûler" Paris quand on y manifeste. Cette fois aussi, le gouvernement cède, mais ce n'est pas l'Etat qui versera la prime de Noël spéciale mobilisation-manque de pouvoir d'achat, ce sont les entreprises, enfin... celles qui le veulent.  

Ne plus boucler ses fins de mois, se sentir survivre, 20 ans après le mouvement des chômeurs, ce n'est plus réservé aux sans emploi. La situation a évolué, clairement, mais pas dans le bon sens...

Marie Viennot avec des sons de journaux de 1997 et 1998 et des sons de la manifestation des "gilets jaunes" du 8 décembre 2018 enregistrés à Paris par Antoine Marette.

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