Chez soi ou en EHPAD : vieillir dans la dignité

Atelier de discussion dans un EHPAD proche de Montpellier ©Maxppp - Guillaume Bonnefont
Atelier de discussion dans un EHPAD proche de Montpellier ©Maxppp - Guillaume Bonnefont
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Aujourd'hui, la part des personnes âgées de 75 ans et plus représente 9% de la population. Elle passera à 15% d'ici 2040. Le défi démographique de la vieillesse, mais aussi de la perte d'autonomie, sont immenses. A ces questions s'ajoute celle des moyens conférés à ce secteur.

Avec
  • Dominique Libault Directeur de l'École nationale supérieure de la Sécurité sociale (EN3S) et ancien directeur de la Sécurité sociale (2002-2012).

La question du grand âge représente un véritable défi pour les décennies à venir. La génération du "baby boom" arrive à la retraite et se pose alors une équation mathématique complexe : en 2050, près de 5 millions de personnes auront 85 ans ou plus. C'est à cet âge en moyenne que les personnes font leur entrée en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Selon des chiffres de fin 2017, la France dispose de 7 573 établissements qui accueillent plus de 600 000 résidents. 

EHPAD : les chiffres clés
EHPAD : les chiffres clés
© AFP -

A cette question du grand âge s'ajoute celle de la perte d'autonomie. Si en 2017, on recensait 1,3 million de personnes dépendantes, elles seront 2,2 millions en 2050. Les besoins humains et donc financiers vont donc être d'autant plus importants.

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Le rapport de Dominique Libault remis le 28 mars 2019 (consultable ici) à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, est très clair sur l'urgence qui entoure cette question du grand âge et sur les moyens financiers qu'elle va nécessiter à l'avenir. Ainsi, Dominique Libault, qui est aussi président du Haut conseil au financement de la protection sociale, écrit dans son rapport : 

Nous n’avons pas le temps d’attendre, c’est un luxe qui ne nous est pas donné. Il faut remettre les montants nécessaires au regard de l’ensemble des masses financières de la protection sociale dont la perte d’autonomie doit être reconnue comme un risque à part entière.

Il formule 175 propositions pour permettre une meilleure qualité de vie des personnes âgées. Huit priorités se détachent : parmi elles, le libre choix du maintien à domicile est primordial.

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La prise en charge à domicile avec l'aide d'un auxiliaire de vie

Jean-Pierre Ramos a 45 ans et il est auxiliaire de vie indépendant depuis une quinzaine d'années. Une reconversion pour lui qui travaillait auparavant dans l'hôtellerie, un métier "pas si différent" selon lui. "Il y aussi du service. On rend service aux personnes. Je crois que j'avais envie de me rendre utile." Il se lance donc dans le métier d'auxiliaire, une profession quasi exclusivement féminine et où le lien de confiance n'est pas toujours simple à tisser : "On fonctionne beaucoup sur le bouche à oreille. Petit à petit, les professionnels m'ont fait confiance, des infirmières, des médecins. Et c'est comme ça que je me suis lancé."

Les journées de Jean-Pierre commencent très tôt. "Je me lève vers 5h30. Ensuite, la première toilette est à 7h. Le matin, j'enchaîne les toilettes puis les repas le midi. L'après-midi, on fait les sorties et le soir on recommence, on couche les gens qu'on a levés. On fait un peu partie de leur famille. Quitte à s'oublier soi-même parfois..."

Jean-Pierre se rend au domicile d'André et Michèle dans le sud-ouest parisien. "Le monsieur a 93 ans, il est atteint de la maladie d'Alzheimer. Son épouse est un peu plus jeune." Chaque jour, il s'occupe de la toilette d'André, mais pas uniquement. "Je fais aussi un peu de cuisine, quelques courses au besoin et puis je parle avec madame. Elle a besoin de parler, de me raconter sa vie..."

Le domicile du couple à Sceaux (Hauts-de-Seine) est grand et lumineux. André se lève tout juste sur les coups de 10h30 quand Jean-Pierre entre dans l'appartement. Il entame la toilette, l'habille puis tente de stimuler un peu la mémoire du nonagénaire : "il y a quelques semaines, je l'ai filmé avec mon portable en lui faisant une interview, je lui demandais de parler des gilets jaunes. Il faut tenter de les stimuler même si on sent que monsieur baisse un peu. Il répète de plus en plus les mêmes choses, il perd les prénoms, il chante même l'Internationale ce qui a le don d'agacer son épouse !"

Jean-Pierre Ramos et André
Jean-Pierre Ramos et André
- Jean-Pierre Ramos

Pourtant, malgré la pathologie de son mari, Michèle n'a pas envie de quitter son domicile : "On a nos habitudes même si le moral n'est pas toujours au beau fixe. J'ai des enfants et des petits-enfants, mais ils ont tous leur vie. Jamais je n'irai chez l'un d'entre eux. Je ne souhaite pas les embêter !"

Faudra-t-il faire partir André de son appartement à un moment donné pour l'installer au sein d'un EHPAD ? "Si Madame souhaite qu'il reste ici, je ferai tout mon possible pour satisfaire leur choix. A l'heure actuelle, ça me semble possible", conclut Jean-Pierre.

La difficile question du manque de moyens en EHPAD

Après la remise du rapport Libault au gouvernement, l'intersyndicale du secteur de l'aide aux personnes a été reçue à l'Elysée. Parmi elles, Solenn Le Baron Le Floch, la secrétaire nationale déléguée aux EHPAD de l'UFAS (Union fédérale autonome santé).

Nous sommes en sous-effectif dans les EHPAD. On demande depuis plusieurs mois en intersyndicale à obtenir le 1 pour 1, c'est à dire un soignant par résident mais aujourd'hui on est à 0,6 ! C'est trop faible pour faire correctement notre travail. Et certaines collègues craquent, elles arrêtent ce métier ou font des burn-out. C'est de la maltraitance institutionnelle selon moi.

Le rapport Libault va dans le sens des propositions syndicales. Il demande une augmentation de 25% du taux d'encadrement en EHPAD d'ici 2024. La tendance actuelle va toutefois vers plus d'économie, particulièrement dans les EHPAD privés à but commercial. Un ancien directeur de ces structures le dénonce aujourd'hui.

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5 min

Un ancien directeur d'EHPAD témoigne

Jean Arcelin a 53 ans et il vient d'écrire un livre sur son expérience de trois ans à la tête de deux EHPAD dans le sud de la France : "Tu verras maman, tu seras bien" (XO Editions).

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Il dénonce aujourd'hui une logique commerciale des EHPAD, un business devenu presque comme un autre : "Selon moi, le business libéral a une limite, c'est le soin de personnes âgées vulnérables. La recherche d'un profit toujours plus grand est incompatible avec cela."

Il se voit imposer l'obligation de faire des économies dans ces structures, sur le personnel ou sur la nourriture. 

Chaque jour, pour le petit-déjeuner, le déjeuner, le goûter, le repas du soir et la collation, je dispose de 4,35€ pour mes résidents. Que voulez-vous faire avec ça ? On doit faire des économies sur tout : acheter le pain le plus dégueulasse, l'huile la plus improbable. Et ça m'a révolté.

Le label "humanitude" en EHPAD pour plus d'humanité ?

La France compte plus de 7 000 EHPAD, pourtant très peu d'entre eux ont choisi d'adopter la technique de "l'humanitude" pour les soins apportés à leurs résidents. Depuis 2012, l'association Asshumevie (Association Humanitude Evaluations et Milieux de Vie) décerne ce label aux établissements qui appliquent la méthode initiée par deux anciens professeurs d'éducation physique, Rosette Marescotti et Yves Gineste dans les années 1980. 

Leur méthode est aujourd'hui basée sur cinq piliers : pas de soin forcé, respect de l'intimité, le vivre et mourir debout, l'ouverture de la structure vers l'extérieur qui devient un lieu de vie et d'envies.

Aujourd'hui, l'association Asshumevie a labellisé une vingtaine d'EHPAD. Près de 70 autres ont lancé la procédure.

La charte de vie Humanitude
La charte de vie Humanitude
© Radio France - Maxime Fayolle

C'est le cas depuis 2017 de l'EHPAD Bouic-Manoury de Fauville-en-Caux (Seine-Maritime). Ici, ce label "humanitude" se traduit par des soins spécifiques et une ouverture de la structure sur le monde extérieur grâce à des dispositifs inter-générationnels. Sylvie Schrub est la directrice de cet EHPAD : "Ouvrir sur l'extérieur c'est important car nos résidents aiment avoir une vie sociale. On développe des actions avec la crèche, l'école. Les résidents vont à la crèche ou inversement. On a mis en place une aire de jeux devant l'EHPAD, où les enfant viennent s'amuser. Il faut aller dans ce sens-là pour que toutes les tranches d'âge puissent vivre ensemble, éviter de les cloisonner dans leur mode de vie".

Cette techniques de soin "humanitude" apporte un bienfait aux résidents et aux soignants : "les évolutions sont très positives, on redonne avec beaucoup de temps de l'autonomie à certaines personnes", explique Sylvie Schrub. Toutefois, ces bienfaits ne cachent pas un problème récurrent de sous-effectif : "On a besoin de personnels pour aller au bout de cet accompagnement. Le ratio est de 0,49 chez nous, soit un soignant pour deux résidents. Il faudrait entre 0,6 et 0,8 soignant par résident pour pouvoir prendre le temps nécessaire avec les résidents. Le temps est un facteur important pour l'autonomie de la personne, il faut l'aider à faire seul et ne pas faire à sa place. Ce manque de temps est difficile à gérer pour les équipes qui est source de frustration. C'est le paradoxe d'avoir ce label et de le maintenir avec des équipes restreintes."

La démarche "humanitude", si elle n'est pas la réponse à tous les problèmes dans les EHPAD, est mise en valeur dans le rapport Libault.

L'humanitude dans le rapport Libault
L'humanitude dans le rapport Libault
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Comment financer l'avenir du grand âge ?

Le rapport qui prévoit 175 propositions doit servir de base à un projet de loi qui doit voir le jour cette année. La question du financement de ces mesures sera au centre des enjeux et des débats au Parlement. Dominique Libault estime à 9,2 milliards d'euros les besoins pour la dépendance d'ici 2030. Pour financer cela, la mise en place d'une nouvelle journée de solidarité en supprimant un jour férié est envisagé par la majorité. C'est ce qu'a déclaré au JDD le 21 avril la porte-parole d'En Marche, la députée, Aurore Bergé.

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Emmanuel Macron ne s'est pas prononcé en faveur de ce système lors de sa conférence de presse le 25 avril 2019 : "Je ne crois pas que ce soit le plus efficace, a déclaré le chef de l'Etat. On a déjà essayé, ça n'a pas très bien marché" conclut Emmanuel Macron en référence au lundi de Pentecôte supprimé en 2004 par Jean-Pierre Raffarin.

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Autre piste évoquée par Dominique Libault, le maintien de la contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS). Elle devait prendre fin en 2024 pour permettre de rembourser la dette de la sécurité sociale. Emmanuel Macron a promis une stratégie pour le grand âge à l'automne 2019.

Le Billet économique
2 min

Première diffusion le 26/04/2019

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