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Réponse du président de Max Havelaar France - JP Doussin

5 avril 2006, 17:34, par Jean Pierre Doussin

Chers amis de l’UFC Que Choisir,

Votre revue vient de publier dans son dernier numéro une étude sur
le commerce équitable. La place de cette forme d’action en faveur des
producteurs et travailleurs défavorisés des pays à faible niveau de
développement est en effet de plus en plus importante et il est donc tout à 
fait normal et intéressant qu’une revue comme " Que Choisir " aborde cette
question de la manière qui lui est habituelle : celle d’une critique la
plus argumentée possible.

Cet article comporte malheureusement un certain nombre
d’affirmations ou d’allégations parfois inexactes et en tout cas de nature à 
induire vos lecteurs consommateurs et vos militants en erreur sur ce que
sont réellement notre association et ses modalités d’action. Voici les
principaux points concernés :

Max Havelaar " une marque commerciale qui veut se faire label "

Max Havelaar serait ainsi une entreprise ou pour le moins un
groupe défendant des intérêts commerciaux puisque son objet est la
délivrance d’une marque commerciale. Cela appelle deux remarques sur ce
qu’est notre association et ce qu’est son action de certification.

Max Havelaar est une association loi de 1901, sans but lucratif,
dont les membres sont des militants bénévoles qui, pour l’essentiel
n’interviennent pas à titre personnel mais comme représentants
d’associations de solidarité internationale comme Agronomes et Vétérinaires
sans frontières, Amnesty international, le Comité Catholique contre la Faim
et pour le Développement Ingénieurs sans frontières et Peuples Solidaires
ou d’associations locales de militants représentant eux-mêmes le plus
souvent des associations travaillant pour la défense des droits de l’homme
et la solidarité internationale. L’essentiel du budget de l’association est
consacré au soutien des organisations de producteurs du Sud. La marque de
certification dont elle autorise l’apposition sur les produits vendus dans
tous les systèmes de distribution et sous les marques commerciales les plus
diverses apporte la garantie du respect des règles sociales et
environnementales qu’elle impose à toutes les entreprises fournissant ces
produits.

Cette marque est bien un label. Il est vrai que la DGCCRF continue
de dire que seules peuvent se qualifier " label ", les certifications
entrant dans le champ des labels de qualité concernant les produits
agricoles et alimentaires régis par les dispositions du code rural et du
code de la consommation. Mais il s’agit là d’une simple interprétation
contredite par les deux seules décisions judiciaires récentes intervenues en
ce domaine (Cour d’appel de Paris 27 juin 2003, Cour d’appel de Versailles
23 septembre 2004). La première, qui concernait un produit industriel, a
décidé qu’un label signifie, pour le consommateur, une garantie de
conformité à des spécifications collectives de source professionnelle, dont
le respect est contrôlé par un organisme certificateur distinct de
l’entreprise qui en bénéficie. La seconde reprend cette position en
l’appliquant aux produits agricoles et aborde la question sous le seul angle
prévu par les textes (article L 114-24 du code de la consommation) qui
n’interdit pas l’usage du mot " label " mais d’" un mode de présentation
faisant croire ou de nature à faire croire à un produit bénéficiant d’un
label agricole ", la décision rappelant au passage que le label agricole
s’applique à des produits de qualité supérieure. Or le label FLO/Max
Havelaar (utilisé dans 21 pays) ne prétend aucunement être une garantie de
qualité, à plus forte raison de qualité supérieure, mais une garantie
sociale. Ce label répond donc à toutes les conditions posées : il a bien
pour objet de garantir l’application d’un cahier des charges, il est
contrôlé par un organisme certificateur et il ne prête pas à confusion avec
un label de qualité.

Le cahier des charges est bien défini comme le dit l’article de Que Choisir
par notre fédération internationale " Fairtrade Labelling Organisation
international " mais l’article oublie de rappeler que cette fédération est
composée des associations nationales comportant des composantes de même type
que la nôtre et d’une représentation des organisations de producteurs
impliquées dans le système. Quand au contrôle, il est effectué par une
structure juridiquement et financièrement indépendante de FLO : FLOCert qui,
ayant son siège à Bonn est en cours d’accréditation devant la structure
allemande équivalente à celle du Comité Franà§ais d’Accréditation (l’audit à 
blanc est passé, l’audit final est demandé). Pour sa part notre association
franà§aise avait mis en place dès 2003 un comité de certification indépendant
qui continue d’intervenir dans le cadre de FLOCert sous forme de comité
consultatif et qui est présidé par une représentante d’une association
nationale de consommateurs.

Quant à l’action de soutien technique aux producteurs, elle est le fait
d’une structure spécifique dépendant de FLO et totalement indépendante de
FLOCert. Le reproche de confusion des actions de soutien et de contrôle
fait, selon l’article, par la DGCCRF, est donc ici sans aucun fondement.

Alors quel " mélange des genres " y a-t-il ? quels doutes " sur
l’impartialité des décisions " ? et quel intérêt aurait une association de
développement à ce que cette impartialité ne soit pas la règle ? Quelle "
carence dans les garanties " (titre de l’article) y a-t-il dans le système
FLO/Max Havelaar ?

Max Havelaar " très en cour " et " grassement subventionnée "

Notre association souhaiterait être totalement autonome
financièrement. Elle est en passe peu à peu de le devenir. Quoi qu’il en
soit, la remarque faite dans l’article n’est que la reprise sans contrôle de
ce que disent certains responsables d’entreprises ou structures dont l’objet
premier (et pas toujours désintéressé) est souvent de contester le principe
même de l’approche FLO/Max Havelaar du commerce équitable.

En réalité, les subventions obtenues ces dernières années ont toutes
été la contrepartie de la mise en Å“uvre de projets précis, faisant l’objet
de conventions parfaitement claires et dont les résultats sont soumis à 
évaluations. C’est ainsi qu’a pu être réalisée la mise en place en 2005
d’une filière coton avec les pays de l’Afrique de l’Ouest jusque là 
largement absents ou peu impliqués dans le commerce équitable. Grà¢ce à cela
3000 producteurs africains dès la première année et 20000 la seconde année
on pu bénéficier des apports du commerce équitable. Les subventions en cause
ont simplement permis à l’association de réaliser des actions coà »teuses
d’étude et de mise en place qui n’auraient pas pu l’être sans apport
extérieur.

Alors qu’est-ce qui justifie le perfide " grassement subventionné "
 ?

Les liens avec les producteurs, engagement sur le prix, les quantités, la
durée,

Le prix est un prix minimum. Il est fixé de manière concertée avec
les organisations de producteurs et validé par le comité de certification de
FLO vu plus haut. Il est vrai que le transfert direct de revenus
supplémentaires peut paraà®tre insuffisant et devrait pouvoir être amélioré
mais il est loin de représenter l’avantage le plus important. Les retombées
du commerce équitable en puissance et en représentativité économique et même
politiques des organisations de producteurs et de travailleurs sont
considérables, bien qu’inégales suivant les pays ou les produits. Une étude
récente faite de manière extrêmement objective et bien documentée en Bolivie
démontre de manière extraordinaire ces retombées. Alors pourquoi ne pas
chercher à en savoir plus sur ce point ?

Dire en forme de critique que ces apports supplémentaires ne vont
pas aux producteurs mais aux organisations est de ce fait inapproprié car
niant ce qui est le cÅ“ur du commerce équitable : être un instrument au
service d’un développement pris en charge par les individus concernés
eux-mêmes qui ne peuvent réaliser cela qu’à travers les organisations
auxquelles ils appartiennent. Cette critique est par ailleurs dangereuse car
elle fait croire que la liaison directe entre acheteurs professionnels du
Nord et producteur du Sud est à encourager. C’est là que se situait
d’ailleurs l’un des points essentiels de la " fracture " au sein des travaux
d’AFNOR , les représentants des entreprises, petites ou grosses, parfois
regroupées sous la bannière d’une association, prônaient et prônent toujours
cette relations directe présentée comme plus humaine ou plus efficace. La
réalité est que la relation directe entraà®ne le plus souvent une perte
totale d’autonomie de la partie faible : le producteur. Certaines
entreprises exigent (et non pas permettent) d’acheter la totalité de la
production de producteurs ou de groupes de producteurs cherchant par là 
beaucoup plus à sécuriser qualitativement et quantitativement leurs apports
de matières premières qu’à travailler au développement durable de ce groupe
qu’elles peuvent abandonner du jour au lendemain. FLO/Max Havelaar ne
cherche pas nécessairement à favoriser la vente de toute la production des
groupements concernés (les consommateurs ne sont malheureusement pas
suffisamment nombreux), elle veille toujours à ce que les ventes soient
diversifiées et durables (la durabilité des contrats d’achat aux
organisations de producteurs fait partie des points contrôlés par FLOCert).
La politique de la plupart des organisations de producteurs, de surcroà®t,
est d’utiliser le revenu des ventes supplémentaires non pas à l’augmentation
de la part de production vendue dans le commerce équitable mais à un
accroissement du nombre des adhérents bénéficiaires ou au soutien, avec
l’appui de FLO, de la création de nouveaux groupements.

Dire que, quand les cours internationaux baissent, les entreprises
acheteuses se détournent des produits équitables est donc contraire à ces
principe, Au demeurant, cette affirmation curieuse est contredite par les
chiffres : la progression de la vente du café issu du commerce équitable,
par exemple, n’a jamais été aussi forte que dans la période des 4 ou 5 ans
que nous venons de vivre ou les cours du café ont atteint les niveaux les
plus bas jamais connus. Si la solidarité des consommateurs avait été plus
active (ou nos campagnes de communication plus percutantes), cette
progression aurait certes pu être plus grande encore afin d’éviter que
cette période connaisse un exode aussi massif de petits producteurs
abandonnant leur plantation. Ce sont en effet les consommateurs qui, par
leur demande, font le succès ou l’échec de cette nouvelle forme de relations
entre le Nord et le Sud.

Les filières aval sont ignorées, le sort des producteurs du Nord également

Si l’on veut faire court, on dira simplement que le mouvement
international du commerce équitable n’a ni la force (les moyens) ni la
compétence lui permettant de changer la totalité des filières sur l’ensemble
de leurs pratiques. Ce mouvement concerne donc les populations dont les
besoins sont les plus criants et qui sont dépourvus de tous recours réels
dans leurs Etats respectifs. Autrement dit le mouvement du commerce
équitable ne peut changer la totalité du monde à lui tout seul, d’autres
structures politiques ou sociales, comme l’UFC, sont plus légitimes que lui
pour le faire.

Par contre il participe à tout le travail de lobbying politique et
éventuellement de soutien technique permettant la dénonciation des méfaits,
notamment vis-à -vis des pays en développement, des politiques agricoles mal
conà§ues et dramatiquement déstabilisantes sur le plan environnemental et
social. Max Havelaar France est ainsi un membre très actif de la Plateforme
pour des agricultures durables et solidaires et de Coordination Sud et
participe à diverses études sur ces questions. Nous soutenons également
publiquement l’action que vous venez d’entreprendre sur le thème, lié à de
meilleures pratiques agricoles, " l’eau réconciliation 2015 ".

Des travaux à l’AFNor non aboutis

Ce qui a fait débat c’est qui a déjà été vu, la place des organisations de
producteurs. Mais c’est aussi le respect, comme un minimum, des critères
internationaux reconnus et le rôle de plaidoyer politique que doivent jouer
les organisations de commerce équitable. Le blocage des entreprises ou
groupes d’entreprises associés aux travaux d’AFNor sur ces trois questions
centrales a heureusement été surmonté et l’ " accord " qui en est sorti
servira, il faut l’espérer, de base aux travaux de la commission
gouvernementale en cours de création afin d’éviter la récupération au rabais
de cette démarche originale et prodigieusement efficace qu’est le commerce
équitable. Nous comptons d’ailleurs sur les organisations de consommateurs,
appelées à être membres de cette commission, pour bien centrer les débats
non sur le seul aspect strictement commercial mais sur les questions de
développement. La commission en question jouera alors pleinement le rôle que
vous réclamer, celle d’un encadrement public de la démarche.

Une filière de transformation/distribution non transparente quant aux marges
qu’elles pratiquent

On peut en effet demander cette transparence aux entreprises
transformant les produits. Certaines le font de manière volontaire et elles
sont encouragées à le faire par notre association mais nous n’avons ni le
droit ni le pouvoir d’intervenir de manière autoritaire en ce domaine et
nous ne le souhaitons pas, dans l’intérêt même du commerce équitable.

Dans un récent avis (avis 6-A-07 du 22 mars 2006), le Conseil de la
concurrence a considéré que la fixation de prix concertés au niveau de la
production n’était admissible que parce que les règles de concurrence
étaient respectées aux stades ultérieurs de la filière. Notre association
n’a donc aucun droit de s’immiscer dans la relation entre ces entreprises
aval, en particulier par une fixation de marges. Même si nous le voulions
nous n’aurions d’ailleurs aucun moyen de contrôler ces marges tant un tel
contrôle est difficile (même par les structures publiques concernées qui se
gardent bien d’intervenir dans un tel domaine). Cela n’a pas empêché pour
autant nos militants locaux de dénoncer des dérives de certains magasins
tentés de profiter de la situation, cela amenant très vite les récalcitrants
à la raison. Les marges pratiquées sont ainsi, dans l’ensemble, maintenues à 
un niveau acceptable (plutôt bas).

Au demeurant nous ne souhaitons pas que les revendeurs fassent
bénéficier les produits du commerce équitable d’un régime de faveur, en se
réservant de se rattraper sur les autres produits. Nous voulons en effet que
les produits du commerce équitable trouvent normalement leur place dans le
circuit, qu’ils soient vendus parce que les consommateurs les demandent et
les redemandent, non seulement en raison de leurs conditions sociales ou
environnementale de production mais aussi pour leurs qualités de
consommation ou d’usage. C’est ainsi que l’on changera durablement les
pratiques du commerce international et même national. L’adhésion de grandes
sociétés de distribution à la vente de produits du commerce équitable pour
des parts très importantes de leur chiffre d’affaire est ainsi rendu
possible : La totalité des cafés et des thés vendus par les 420 magasins
Mark & Spencer au Royaume Uni, la totalité des bananes vendues par le réseau
d’hypermarchés Coop en Suisse sont issus du commerce équitable. N’est-ce pas
une réussite à encourager et à imiter ?

C’est aux consommateurs d’en décider ; nous comptons sur votre aide pour y
arriver.

Jean-Pierre Doussin

Président de Max Havelaar France

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