Y a-t-il une grande démission made in France ?

Y a-t-il une grande démission made in france ? ©Getty - Twenty47studio
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C’est un chiffre record, plus d'un million de Français ont quitté leur emploi volontairement en six mois, de fin 2021 à début 2022, selon la DARES. Le précédent record datait de 2008, juste avant la crise financière. Ces chiffres sont-ils le signe d’une « grande démission » ?

Il semble que la pandémie de Covid-19 ait bouleversé le marché de l'emploi. En France, entre fin 2021 et début 2022, on comptait environ 520 000 démissions par trimestre, dont 470 000 démissions de CDI, un niveau supérieur à celui de la même période en 2019, avant la crise.

C’est un désir de changement qui motive ces départs, selon une enquête de l’Unedic. Près de six sur dix des personnes interrogées déclarent « avoir en tête » au moins un des quatre projets suivants : changer de métier, d’employeur, de secteur d’activité ou se former dans leur métier actuel.

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Les Etats-Unis ont connu un phénomène similaire à une échelle plus importante à la suite de la crise du Covid-19. C’est plus de 38 millions de personnes qui ont quitté leur travail en 2021, dont 4,5 millions d’Américains durant le mois de novembre 2021. Mais cette « grande démission » concerne en majorité les métiers dans lesquels les salaires sont bas et les conditions de travail, difficiles.

Mais, lorsque l’on compare les chiffres entre les Etats-Unis et la France, cela nous amène à relativiser le phénomène de « grande démission » en France. De plus, dans la durée, ce phénomène risque de se tasser, face au ralentissement économique qui se profile dans notre pays dans les prochains mois.

  • Y-a-t-il un mouvement de grande démission en France ?
  • Quelles conséquences sur le marché du travail ?
  • Avez-vous démissionnez récemment et pour quelles raisons ?

Un climat économique favorable aux grandes démissions

C'est devenu un vrai phénomène sociétal depuis la crise sanitaire, qui n'a contribué qu'à accélérer une dynamique déjà en cours. En France, ce sont 470 000 CDI qui ont été abandonnés au premier trimestre cette année (ministère du Travail), soit un taux de démission de 2,7 %, un record depuis la crise financière de 2008. De plus, selon une étude réalisée par Les petits patrons, 42 % des moins de 35 ans prévoient de partir au cours de cette année.

Une telle dynamique est souvent rendue plus facile quand la reprise économique est au rendez-vous, que le chômage est en baisse (7,5%) et qu'une quantité de patrons déplore un vrai manque de main d'oeuvre dans de nombreux secteurs. Cela fait un moment qu'on n'avait pas retrouvé un taux de chômage aussi bas, avec un marché du travail très dynamique post-covid, avec la création de plus d'un million d'emplois en deux ans, avec des opportunités significatives qui se sont dessinées. Du jamais vu. Le marché du travail est beaucoup plus dynamique et on observe une rotation de la main d'œuvre et des possibilités qui sont plus élevées.

En effet, en France, contrairement aux Etats-Unis, il n'y a pas eu de disparition d'emplois, les gens démissionnent pour retrouver un emploi ailleurs, voire dans le même secteur, ou dans une entreprise concurrente qui offre de meilleures conditions de travail et salariales. Raison pour laquelle le taux d'emploi a augmenté depuis le début de la crise. Ce nouveau climat au sein de la sphère professionnelle, résulte, d'après le vice-président de l'association nationale des DRH Benoît Serre "d'un cumul d'un phénomène de reprise économique beaucoup plus forte que ce qu'on avait imaginé, puis de conséquences directes de la crise sanitaire".

Quand le besoin d'un plus grand confort de vie de la part des employés crée de la demande

Un grand nombre de salariés ont opéré un vrai travail de remise en question par rapport à leur conditions de vie, d'équilibre entre la vie personnelle et professionnelle, quant à la finalité de leur travail et des opportunités qui se sont dégagées.

Selon Benoît Serre, avec les conséquences de la crise Covid, "les gens se sont rendu compte que les entreprises étaient capables de s'organiser différemment et qu'ils pouvaient désormais profiter de conditions plus favorables au sein d'un autre secteur. La crise Covid a redistribué les cartes en termes d'équilibre de vie, et on entre dans une période où le secteur du travail va désormais être conditionné par une pression très forte des salariés dans leur volonté de changer le système de travail au profit de leur équilibre de vie au point que de plus en plus de gens sont prêts à partir du jour au lendemain, sans que les entreprises ne s'y attendent. On est passé d'un marché d'employeurs à un marché d'employés".

Les exigences d'un plus grand équilibre et confort de vie sont un phénomène que les entreprises prennent en compte désormais puisque nombreux sont les salariés qui partent se vendre auprès d'un autre secteur concurrent, mais aux opportunités plus intéressantes. Benoît Serre explique que cette exigence de meilleures conditions de travail de la part des employés crée une nouvelle forme de concurrence entre les entreprises qui s'avère plutôt plus favorable pour les salariés :

Cette inversion du marché du travail est quelque chose qui devrait encourager les entreprises à recalibrer leur organisation d'où une plus grande pression en interne de la part des salariés. Cette volonté impatiente de la part des employés de voir s'opérer une vraie transformation du travail devrait conduire les entreprises à être plus attractives à l'avenir sur le plan du dialogue social et de jouer sur la concession d'une plus grande autonomie de travail, plus de clarté de parcours, de carrière, d'évolution salariale, d'organisation du travail, de télétravail, de proposition de formations, d'intéressements…)

Encore faut-il avoir les moyens de démissionner

La secrétaire confédérale de Force Ouvrière Karen Gournay nous invite à relativiser le phénomène, car, selon elle, tous les salariés ne peuvent pas se payer le luxe de démissionner d'un claquement de doigts : "Il est nécessaire de rappeler que le démissionnaire ne bénéficie pas de l'allocation chômage. Ces démissions relèvent principalement d'une catégorie socioprofessionnelle supérieure qui peut se le permettre et peut mieux retomber sur ses deux jambes face à l'imprévu. Ne parlons pas des cadres très qualifiés qui, quant à eux, font jouer l'aspect un peu concurrentiel pour essayer de gagner une meilleure rémunération, de meilleures conditions de travail, un meilleur équilibre vie privée, vie professionnelle".

Un phénomène de société éphémère ?

Serait-ce un phénomène avant tout conjoncturel plus que structurel ? Si ces nouveaux rapports au travail impulsent de vraies opportunités, cette tendance resterait-elle inchangée si le marché du travail commençait à s'essouffler demain ? C'est la question que pose l'économiste Mathieu Plaine, car dans le cadre d'un retournement du marché du travail, les sentiments pourraient probablement s'inverser. On peut se demander si, dans un contexte moins propice, les gens continueraient à démissionner plus spontanément : "Les taux de démission sont faibles quand le taux de chômage est élevé. Les gens prennent généralement moins de risques et essaient de préserver leurs acquis".

Avec nous pour en parler

  • Karen Gournay, secrétaire confédérale à Force Ouvrière.
  • Benoît Serre, vice-président de l'association nationale des DRH.
  • Mathieu Plane, économiste, directeur adjoint de l’OFCE

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