Vieillesses irrégulières : la maltraitance en maison de retraite vient de loin

Le livre de Mathilde Rossigneux-Méheust s'appuie sur les archives du château, ex-maison de retraite de Villers-Cotterêts dans l'Aisne
Le livre de Mathilde Rossigneux-Méheust s'appuie sur les archives du château, ex-maison de retraite de Villers-Cotterêts dans l'Aisne
Le livre de Mathilde Rossigneux-Méheust s'appuie sur les archives du château, ex-maison de retraite de Villers-Cotterêts dans l'Aisne
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Aujourd'hui dans le Vif de l'histoire, Jean Lebrun s'intéresse aux maisons de retraite à travers un livre passé plus inaperçu que "Les fossoyeurs" de Victor Castanet.

Au début de cette année, la publication des Fossoyeurs de Victor Castanet a révélé bien des aspects dissimulés d'une chaine privée d'Ehpad. Plus tard dans l'année, un autre livre est passé sous les radars : Vieillesses irrégulières, de Mathilde Rossigneux-Meheust, fondé sur les archives d'une maison de retraite d'Etat, à Villers-Cotterêts. On y comprend que la maltraitance vient de loin.

Nous sommes à une époque que les moins de 75 ans ne peuvent avoir connue. Actuellement, c'est largement sur des critères d'équipement médical que se fait la distinction entre les établissements accueillant les vieillards. D'ailleurs on ne dit plus vieillards : la journée des vieillards est devenue la journée des personnes âgées. La hiérarchisation entre les établissements s'établissait clairement sur des critères de ressources. Les indigents étaient relégués dans les hospices. Simone de Beauvoir a fondé son ouvrage "La vieillesse", il y a un demi-siècle, sur une enquête à l'hospice de Nanterre.

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Mathilde Rossigneux-Meheust fonde le sien, "Vieillesses irrégulières", sur le fichier disciplinaire d'un autre établissement public, Villers-Cotterêts, dépendant de la Préfecture de la Seine puis de la Ville de Paris, bien que situé dans l'Aisne. Ce n'était pas un hospice, on va dire une maison de retraite, fréquentée par des personnes qui touchaient généralement une pension de retraite ou d'invalidité mais modeste. Des vieillards "économiquement faibles ", encore un mot d'époque, terrible, si on y réfléchit.

Villers-Cotterêts, à l'origine un lieu superbe

Un photographe de presse qui avait été contraint de s'y replier avait fait imprimer du papier à en-tête : "Château Francois Ier, Villers-Cotterêts". C'est en effet dans cette ancienne résidence royale que Francois Ier a signé la fameuse ordonnance de 1539 sur la généralisation de la langue française. Mais les siècles ont fait de l'endroit un lieu de délabrement achevé. En 1977, sa direction obtiendra de l'administration parisienne une réfection des toitures mais en l'échangeant contre la promesse de recevoir des renvoyés de l'hospice de Nanterre qui vont s'ajouter aux malades mentaux pareillement hébergés dans la maison. On devine les réactions des vieillards parisiens qui ne sont allés aussi loin qu'à contrecœur : "Je veux, écrit l'un d'eux, quitter votre sordide, macabre maison, ramassis de feignants, de demi-fous, au cerveau atrophié."

La direction de Villers-Cotterêts appréciait mal ce genre de courrier qu'elle classait dans la rubrique "écrivassiers". Elle se serait bien débarrassée de ces mécontents mais son premier impératif était de remplir ses lits pour toucher de la Sécurité Sociale les sommes correspondantes. En 1973, Villers Cotterêts comptait 388 lits, tous en dortoirs, surveillés par des prévôts, à qui il fallait ajouter 16 chambres pour les ménages qui étaient considérées comme autant de privilèges individuel alors qu'elles ne disposaient même pas d'un lavabo individuel.

Petit souvenir personnel. Dans les hauts d'Angoulême, un soir. Les portes d'une maison de retraite restent fermées à un chibani, un vieux travailleur algérien qui proteste, très droit dans son costume élimé. La femme qui se tient derrière la porte est intraitable : "Il est plus de 21 heures, vous êtes en retard, je ne vous laisserai pas entrer. Nous ne sommes pas un hôtel".

Eh bien c'était comme cela à Villers-Cotterêts. Retard le soir ? Punition le lendemain. Punition aggravée si vous étiez de retour en état alcoolisé et si vous aviez fait du tapage en ville. Les punitions ? Rendues publiques devant les voisins de dortoir par les prévôts. Une semaine ou quinze jours à l'eau, con signés sur place. Et si les fiches conservaient la mémoire de trop de punitions, la menace d'un renvoi. Le fichier était intitulé "Indésirables"..

A la fin de l'année 1956, le directeur qui l'a inventé tempête : " Les abus insupportables commis après les mesures de bienveillance prises pour Noël m'amènent à ne lever aucune punition pour le Jour de l'An".

La disparition des humiliations, le fait des années 1970 ?

Leur proclamation en tout cas. Villers-Cotterêts aura beaucoup de difficultés à gommer son caractère carcéral, jusqu'à sa fermeture en 2014 . L'habitude de punir et d'être puni ne s'est pas perdue facilement dans cette maison dont le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle n'a jamais correspondu à ce que des personnes âgées, même dans la nécessité, pouvaient imaginer pour leurs vieux jours.

Aujourd'hui, vieillir en institution est une expérience largement partagée, les structures privées deviennent prédominantes. Celles qu'avait mises en place naguère l'Etat-Providence, pour beaucoup moins de personnes, auguraient mal de l'avenir.

Quel avenir pour Villers-Cotterêts ?

Emmanuel Macron veut faire du château la Cité Internationale de la francophonie. Les travaux de restauration avancent. L'ancienne ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a prédit que nous allions redécouvrir un territoire où " se mêlent la grande histoire de notre langue et celle d'un paysage de forets et de plaines d'une grande poésie." Dans le chateau à sa réouverture, y aura-t-il une trace des vieillards qui s'y sentirent abandonnés ? Sinon, il restera le cimetière où ils reposent nombreux, souvent anonymement.

A lire :

"Vieillesses irrégulières", de Mathilde Rossigneux-Meheust, paru le 15/09/2022 aux éditions La Découverte

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