Victor Castanet : "Le regard de la société a changé" sur le système des Ehpad

Victor Castanet ©AFP - JOEL SAGET / AFP
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Victor Castanet, journaliste d'investigation, Prix Albert-Londres 2022, auteur de Les fossoyeurs (J'ai lu), est l'invité du Grand entretien.

Avec "Les fossoyeurs", Victor Castanet a remporté le prix Albert-Londres 2022. Son enquête sur les Ehpad Orpea sort ce mercredi en version poche, agrémentée d'un complément d'enquête. Il y a un an, son livre a suscité une véritable déflagration. "Si j'ai travaillé aussi longtemps sur cette enquête, c'est parce que je voulais rendre un document implacable, où il n'y avait pas que des témoignages de dérives, mais des preuves de fraudes, notamment sur la gestion d'argent public", raconte le journaliste, qui savait, donc, "qu'il y aurait des suites judiciaires, que nécessairement il y aurait des plaintes contre ce groupe".

En revanche, il explique qu'il ne savait pas "si le livre toucherait le grand public, ce n'est pas le sujet le plus glamour qui soit". "C'était courageux de la part de mon éditrice de s'investir sur un sujet qui n'amène pas les foules dans les librairies", raconte-t-il. "Le débat de société qu'a entraîné le livre montre à quel point ça nous ramène tous à notre propre rapport à notre famille et à nos aînés, et à notre propre vieillesse", explique-t-il. "Michel Onfray disait qu'on a délégué l'amour et la tendresse, et on l'a fait à des structures lucratives, dont le but est de faire du profit", ajoute-t-il.

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"Le système Orpea tel qu'il existait a cessé"

Y aura-t-il un avant et un après ? "Je le pense", dit Victor Castanet : "Le regard de la société a changé, les familles et les médias sont plus vigilants encore sur ces questions, et le secteur a pris conscience de l'ampleur de la crise et du lien de confiance qui s'était rompu à la fois avec les familles et les soignants, les salariés". Selon lui, "la nouvelle direction a pris conscience du côté dysfonctionnel de l'ancien système, le système Orpea tel qu'il existait avant a cessé d'exister",

Mais il reste, pourtant, "tout un tas de choses à changer. Notamment le fait qu'Orpea a gardé les mêmes fournisseurs, notamment Bastide et Hartmann, ceux-là même qui ont participé aux détournements d'argent public". Et des anciens dirigeants sont encore en poste, affirme-t-il. Le plus difficile, selon lui, va être le recrutement de salariés, de " redonner envie aux soignants d'y travailler ".

"Des acteurs ont été missionnés pour manipuler l'information"

Dans cette édition augmentée, Victor Castanet raconte "comment une société cotée en bourse fait appel à un certain nombre d'acteurs pour manipuler l'information : des sociétés d'intelligence économique qui ont été missionnées par Orpea peu après que je leur ai envoyé mes questions, pour essayer de savoir qui j'étais, quel était le contenu de mon livre et d'identifier mes sources", dit-il. Il ajoute : "Des boîtes de communication de crise ont été missionnées pour gérer un plan de communication de crise, avec notamment la publication d'un sondage, diffusé notamment sur franceinfo le 22 janvier, deux jours avant la publication des bonnes feuilles". Ce sondage sur le "bien vieillir" affirmait notamment que la solution avancée par les Français pour améliorer les questions sur le grand âge "c'était d'élargir les compétences des Ehpad". Et selon lui, "à ce moment là, ni les journalistes ni le grand public ne savent que ce sondage a pour visée de contrecarrer le livre".

S'ajoute à cela un sondage de l'émission Touche pas à mon poste le 1er février, dans laquelle une question est posées sous forme de sondage au public : "Les accusations du livre "Les Fossoyeurs" sont-elles infondées ?", "ce qui en soi est déjà une question problématique et orientée à laquelle les téléspectateurs ne peuvent pas répondre". Résultat : 70% des votes disent que les accusations sont infondées. "On a appris quelques jours après dans l'émission que ces sondages ont été manipulés par une société de réputation digitale, qui fait appel à une armada de faux comptes Twitter qui en quelques secondes font basculer un sondage".

"Des gens dangereux et très puissants"

Autre acteur cité dans le complément d'enquête : Jean-Louis Borloo, avec qui Victor Castanet a échangé. "Une semaine plus tard, j'ai rendez-vous avec le DG France de Korian. Quelques jours avant cet entretien, une de mes sources, cadre de haut niveau chez Korian, m'appelle et me demande si je suis sur écoute, car une personnalité politique vient d'appeler Korian pour les dissuader de me rencontrer", raconte-t-il. "C'était Jean-Louis Borloo, à qui je venais de parler", et qui de son côté a démenti avoir prévenu Korian.

On prévient, parmi les familles des patients maltraités, que "ce sont des gens dangereux et très puissants" à propos des dirigeants d'Orpea. "Ce qui m'a surpris tout au long de mon enquête, c'est la peur et l'omerta : à la fois les salariés et les familles avaient peur : madame Roussel, notamment, avait peur, parce que quand elle a décidé de porter plainte contre Orpea, d'abord des avocats ont essayé de la dissuader, et ensuite elle a reçu des menaces très violentes d'Orpea", raconte Victor Castanet. "Et du côté des salariés c'était encore plus violent : l'entreprise faisait appel à des sociétés d'intelligence, plus précisément à des détectives privés, pour monter des dossiers sur certains salariés, notamment les syndiqués".

Répondant à un auditeur qui dit que pour les résidents, rien n'a changé, le journaliste répond que "sur les pratiques irrégulières d'argent, sur le dialogue social qui n'existait pas, sur les pratiques concernant la gestion du droit du travail, c'est terminé. En revanche, il est sûr que ça prend du temps de remettre en marche un groupe qui a été si longtemps dysfonctionnel".

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