Un supermarché différent : à la Louve, quand la coopération s'empare de la consommation

Tom Booth, cofondateur de La Louve, supermarché coopératif dans le 18ème arrondissement parisien ©Radio France - Manuel Ruffez
Tom Booth, cofondateur de La Louve, supermarché coopératif dans le 18ème arrondissement parisien ©Radio France - Manuel Ruffez
Tom Booth, cofondateur de La Louve, supermarché coopératif dans le 18ème arrondissement parisien ©Radio France - Manuel Ruffez
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En novembre 2016, deux Américains ouvrent rue des Poissonniers un supermarché coopératif, inspiré de celui de New-York. Quatre ans après, la Louve fédère près de 5000 membres actifs, en quête d'une alternative à la grande distribution et de lien social. Visite guidée avec Tom Booth, l'un des co-fondateurs.

Ce n'est pas un hasard si le premier supermarché coopératif français s'est installé dans XVIIIe arrondissement de Paris, entre le quartier de la Goutte-d'Or et le périphérique. "C'est un quartier disons populaire-bohème, parfait pour notre genre de coopérative" explique Tom Booth, qui vit en France depuis une vingtaine d'années et a voulu répliquer ici le premier modèle du genre, le Park Slope Food Coop de New-York, né il y a 45 ans. 

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Un environnement parfait selon lui parce que si l'initiative est lancée par "des personnes disons bohème" - des bobos en clair - l'objectif est de rendre plus accessibles des produits de qualité, ce qui prend tout son sens dans un quartier très populaire. Pour Tom Booth :  

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Les enfants qui grandissent avec les produits de La Louve vont être habitués au meilleur Roquefort, au meilleur Comté […] c'est quelque chose qui est invisible mais, à mon avis, très important.

Passé la porte, il faut un badge pour entrer dans le magasin, qui n'est ouvert qu'aux membres de la coopérative. L'adhésion coûte 100 euros, ou dix euros pour les bénéficiaires des minimas sociaux (environ un membre sur dix). "On achète des parts de la coopérative et si on la quitte on peut les revendre" résume Tom Booth, "cette coopérative de consommateurs est un modèle qui existe depuis le 19ème siècle".

Devant ou derrière la caisse, chacun participe

Mais il y a une deuxième condition pour être admis à La Louve : avoir donné de son temps pour faire fonctionner le magasin. Chaque membre doit consacrer trois heures par mois à la coopérative, tenir la caisse, faire du réassort ou du nettoyage. A l'arrière, plusieurs personnes découpent une meule de fromage et emballent les morceaux. Pierre y va de bon cœur : pour cet habitant du quartier, "trois heures par mois c'est pas grand-chose". Il aime trouver ici "de bons aliments, à bas prix, et puis le côté communautaire". Une autre adhérente confirme, un œil sur l'étiquette du Parmesan, "ça me permet de goûter des fromages que je n'aurais pas l'occasion d'acheter, car trop chers dans les autres supermarchés". 

Pour Tom Brooth, ce travail bénévole crée une ambiance un peu insolite, les divisions classiques disparaissent. Parfois l'acheteur qui passe en caisse sait mieux la faire fonctionner que le caissier du jour. Cette coopération de tous permet aussi de maintenir des prix bas :

On voit à quel point ces fromages sont accessibles au niveau du prix, et une des raisons c'est parce qu'on a devant nous cinq personnes qui coupent elles-mêmes les fromages pour les membres.

Tout le monde peut choisir les produits

Les coopérateurs sont partie prenante dans le choix des produits proposés. A l'entrée, le cahier de suggestions est ouvert. Tom Booth vérifie ensuite que les produits demandés sont disponibles chez les fournisseurs, et s'ils se vendent bien ils resteront en rayon : "pour nous c'est la manière la plus démocratique d'établir une gamme de produits".

Dans ce supermarché différent, on trouve majoritairement du bio, du local, de l'artisanal, mais aussi des produits plus conventionnels, avec toujours ce souci de garantir des prix plus bas :

Si on faisait des pubs, c'est quelque chose qu'on dirait : "tu peux acheter mieux pour moins cher"… Mais on ne fait pas de pub !

La devanture de La Louve est elle-même très discrète, un sobre bandeau gris. Les rayons tout aussi sobres, clairs... et propres ! souligne Tom Brooth, qui plaisante lui-même sur l'allure un peu "soviétique" du magasin. Le cadre colle parfaitement à la volonté des membres de rompre avec le modèle classique de la grande distribution et de reprendre en main leur alimentation :

On ne fait pas de promos, on ne fait pas de placement stratégique, on s'en fiche de ça. C'est un magasin adulte : on met les produits en rayon, et on vous dit "vous savez ce dont vous avez besoin !"

Laure vient ainsi en vélo de Clichy, au nord de Paris, pour la qualité des produits, l'esprit collectif, et parce qu'elle ne supporte plus "l'hyperconsommation et la publicité". La Louve a dû fermer pendant le premier confinement, et certains de ses membres se sont plaints de leur retour forcé aux grandes surfaces classiques.

Un modèle alternatif et rentable

Deux ans après son ouverture, La Louve devenait un magasin rentable, avec déjà 3.000 coopérateurs. Aujourd’hui elle en compte 5000 et enregistre 20 à 30 inscriptions chaque semaine, sans autre publicité que le bouche-à-oreille et les reportages dans les médias. Les fondateurs ont calculé qu’ils pouvaient accueillir jusqu’à 12.000 membres. En 2020, La Louve a réalisé un chiffre d’affaire de 7,5 millions d’euros (pour une surface de vente de 750 m2) et un bénéfice d’environ 120.000 euros. La coopérative compte 12 salariés, y compris Tom Booth. Tous au même salaire :

On touche peut-être un peu plus qu'un professeur à l'école ici… On est tous payés la même chose, c'était notre choix. On commence avec un statut d'agent de maitrise, et après un an, tu passes cadre, on touche autour de 2300 euros net par mois. 

L'implication des coopérateurs crée une ambiance particulière, à laquelle ils sont attachés. "Ici il y a toute une convivialité, c'est une grande famille, c'est un petit village" témoigne Véronique. Pour Tom Booth, la coopérative permet en effet de retrouver la fonction sociale d'un marché traditionnel, comme lieu de rencontre

Surtout à Paris où les gens ont du mal, par rapport aux Américains je dirais, à entamer une conversation avec un inconnu dans le métro  […] Moi je constate qu'à Paris, soit on a des amis soit c'est des inconnus, il n'y a pas d'entre-deux, et pourtant c'est quelque chose de très important socialement, et ici on a cet entre-deux.

Le modèle de La Louve essaime, partout en France, ses fondateurs ne sont pas avares de conseils. De précurseurs, ils sont devenus prescripteurs. Il y a aujourd'hui en France une trentaine de magasins qui fonctionnent de cette même manière : SuperQuinquin à Lille, La Chouette à Toulouse, La Fourmilère à Saint-Etienne ou encore La Cagette à Montpellier. 

  • Pour aller plus loin :

Supermarchés coopératifs : Anatomie d'un modèle à part, sur lsa-conso.fr

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