Quand la culture devient un produit comme les autres

Au siège du groupe Leclerc, à Ivry sur Seine, la culture s'affiche sur les murs ©Radio France - Cécile de Kervasdoué
Au siège du groupe Leclerc, à Ivry sur Seine, la culture s'affiche sur les murs ©Radio France - Cécile de Kervasdoué
Au siège du groupe Leclerc, à Ivry sur Seine, la culture s'affiche sur les murs ©Radio France - Cécile de Kervasdoué
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Mettre finance à côté de culture est le moyen le plus sûr de déclencher des polémiques. Pourtant, la culture est depuis longtemps financée par de l’argent privé. En France, l'argent public représente moins d'un quart de l'économie culturelle.

Avec
  • François Debiesse Président d’Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial)
  • Dominique Sagot-Duvauroux Économiste, enseignant-chercheur à l'Université d'Angers, il est spécialiste de l'économie de la culture

C'est une idée reçue qui se transmet de génération en génération : la culture coûterait cher au contribuable. Le budget du ministère de la Culture et de la communication ne représente pourtant qu'environ 1% du budget de l’État. Dans celui de l'Union européenne, c'est encore moins : avec un petit 0,15% seulement du budget. Preuve que l'argent qui finance la culture est d'abord privé.

Chaque année, la culture, c'est 85 milliards d'euros, dont la moitié sort de la poche des consommateurs, un tiers provient de la publicité, 1% du mécénat et seulement 20% des financements publics.

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Des grands groupes avec une stratégie à 360°

Fimalac dans le spectacle vivant, Live nation ou Mathieu Pigasse dans la musique, LVMH ou Pinault dans l'art contemporain. De plus en plus, les anciens mécènes du CAC 40 délaissent le mécénat pour investir directement dans la culture avec de véritable stratégies industrielles. Avec des logiques verticales, voir monopolistiques, ces grands groupes cherchent à contrôler toute la filière depuis la création jusqu'à l'exploitation en passant par la production et la diffusion. Comme ils contrôlent la chaîne de bout en bout, ils peuvent avoir une rentabilité.

Depuis quatre ans, les magasins Leclerc, deuxième distributeur de livres derrière la Fnac, ont lancé leur propre festival du livre. Déjà mécènes de 50 festivals, dont Étonnants Voyageurs à Saint-Malo et Angoulême ils se sont donc professionnalisés dans l'évènementiel du livre. De fin mai à fin juin, dans 26 villes moyennes de France, les centres Leclerc organisent des lectures publiques gratuites. C'est le festival Culturissimo.

On nous dit qu'aujourd'hui les gens ne lisent pas moins qu'hier, mais ils lisent du court texte et sur des écrans. En soit, ça n'est ni bien ni mal, mais le danger est que la génération de lecteurs dont je suis, et qui a fait prospérer le milieu de l'édition ne se renouvelle plus. Alors c'est notre mission d'apporter la lecture pour tous.

Michel-Edouard Leclerc, PDG de la marque Leclerc

Ce que Michel-Édouard Leclerc appelle sa mission ressemble pourtant à une véritable stratégie industrielle. D'ailleurs, sur son propre fonds de dotation il a lancé il y a quelques mois sa propre maison d'édition MEL publisher pour défendre les bandes dessinées, dont il est un fervent collectionneur. De quoi s'implanter tout au long de la filière dans une logique à 360 degrés.

Et puis il y a Google

La fondation du moteur de recherche est basée à Paris. Depuis six ans, elle a son Institut culturel, virtuel, lancé avec une équipe d'ingénieurs, complété plus tard par le Lab, un centre culturel et lieu de résidence pour jeunes artistes. La ministre de la Culture de l'époque, Aurélie Filippetti, avait d'ailleurs boycotté son inauguration.

L'Institut culturel du géant américain vient de lancer une application pour se plonger depuis son mobile dans des musées du monde entier : Google Arts et culture Il a obtenu gratuitement les droits sur la reproduction de 6 millions d’œuvres d’art exposées dans 1200 musées !

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Ils viennent par exemple de lancer une grande exposition virtuelle autour de la mode, en partenariat notamment avec le musée des Arts décoratifs de Paris.

L’idée : mettre en ligne gratuitement des reproductions de vêtements de Coco Chanel, Versace ou Dior, avec des visites virtuelles au milieu de costumes, de stylistes, ou de mannequins. Là aussi, le moteur de recherche n’a pas eu à payer de droits.

L'intérêt de Google est le plaisir pour les 30 ingénieurs de la fondation de pouvoir partager de l'art et de la culture sur un site unique où l'internaute peut découvrir des œuvres du monde entier.

Laurent Gaveau, directeur du Lab de l'Institut Culturel, en charge du programme culturel

Parce que malgré les efforts d’Europeana, la bibliothèque numérique de l’Union Européenne , Google est aujourd’hui la première plateforme culturelle auprès des internautes européens et la fondation assure être directement et de plus en plus sollicitée par les musées les institutions culturelles et les écoles du monde entier.

Et les artistes dans tout ça ?

Dans ce contexte, les artistes s’adaptent, surtout en région. Parce qu’avec la décentralisation, de nombreuses collectivités territoriales ont réduit leurs subventions. Résultat, les artistes ont dû revoir leur mode de financement et se tourner vers l’économie marchande. Inspirés par des programmes européens, ils sont donc de plus en plus nombreux à se transformer en "artistes entrepreneurs".

A Nantes, l'association Trempolino a même reçu un financement de l'Union européenne pour permettre aux musiciens émergent de se transformer en entrepreneurs avec un objectif : protéger la diversité culturelle européenne qui n'est pas un secteur d'investissement des grands groupes privés.

La carrière d'un artiste est triple, il y a le projet artistique, l'intermittence qui dure de moins en moins longtemps et un troisième aspect indispensable aujourd'hui: l'artiste doit se diversifier. Avoir conscience de ses compétences et en développer pour trouver de nouveaux marchés comme composer pour les jeux vidéos, programmer des playlists, proposer des formation en e-learning ou des projets de tourisme culturel... C'est indispensable s'il veut vivre de sa musique.

Olivier Turat, directeur de Trempolino

Une fois formés à l'entrepreneuriat, ces artistes sont de plus en plus nombreux à s’organiser en collectifs et à monter des plateformes collaboratives appelées cluster culturels. Elles poussent un peu partout en France, comme la Coursive Boutaric, à Dijon, ou encore la Fontaine O Livres, à Paris.

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