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Pourquoi la gouvernance coopérative réémerge-t-elle en période de crise comme une alternative crédible ?

Nacer Eddine SADI |

Pourquoi la gouvernance coopérative réémerge-t-elle en période de crise comme une alternative crédible à celle de l’entreprise capitaliste classique ? La promotion de la coopérative doterait la France d’un puissant amortisseur des chocs sociaux qui accompagnent en période de crise les stratégies de redéploiement industriel et d’un socle à la stabilité du tissu industriel

La coopérative s’est imposée dans le paysage économique mondial comme un acteur incontournable. Les 300 plus grandes coopératives du monde cumulaient à fin 2008 un chiffre d’affaires égal au PIB de la 9e puissance économique mondiale. L’ACI, qui existe depuis 1895, compte 271 organisations qui représentent un milliard de personnes, dont 236 millions en Inde et 180 millions en Chine.

En Europe, le secteur coopératif comprenait, en 2010, 160 000 coopératives employant 5,4 millions de personnes. Dans le "Top 25" européen, la France est l’un des pays leaders en Europe avec 21 000 coopératives employant environ 1 million de personnes (près de 3,5 % de la population active) pour un chiffre d’affaires approximatif de 288 milliards d’euros (Coop FR, 2012). Ces chiffres montrent que la réplique dans tous les pays des structures d’économie sociale est une réalité concrète.

La gouvernance coopérative est un système qui départage l’exercice et le contrôle du pouvoir (Schwab, 2007). Elle cherche en permanence les meilleurs équilibres entre les différents pouvoirs composants d’une démocratie élective (IFA, 2006). Dans la coopération, le but est pluriel en portant non seulement sur la création de richesse, mais aussi sur la satisfaction des aspirations des membres. L’intérêt qu’on porte aujourd’hui aux coopératives s’explique par leur poids économique et social grandissant et par leur solidité face aux chocs des crises financières.

Leur éloignement des marchés financiers les met à l’abri de la conjoncture financière. P. Mangin, président d’ACOOA, de Coop de France et d’Invivo, affirme à raison qu’"On n’achète pas et qu’on ne revend pas une coopérative, on passe le relais" (Le Monde, 8/03/12), d’où l’existence aujourd‘hui de coopératives plus que centenaires. C’est le cas en Bretagne des coopératives Scael, Chartres ou Triskalia.

1) La distribution du pouvoir relève d’un processus démocratique 

La spécificité de la gouvernance des coopératives découle de leurs principes fondateurs. Ces principes forment leur identité organisationnelle et les mécanismes de gouvernance démocratique : la primauté de l’homme sur le capital,  la propriété collective et la libre adhésion, la solidarité, l’apprentissage mutuel et l’égalité des chances, le pouvoir démocratique et l’implication économique de tous les membres, la juste répartition de la richesse et l’impartageabilité des réserves sont les principes qui façonnent l’action collective finalisée.

Dans la gouvernance démocratique, le pouvoir n’est pas proportionnel au nombre de parts détenues et la valeur créée échappe en partie et définitivement à l’appropriation privative. La primauté est donnée à l’homme et non pas au capital au sens où la finalité première des coopératives est la prise en charge des aspirations sociales, culturelles et économiques des membres.

Ce principe se manifeste dans l’exercice du pouvoir qui repose sur la règle "d’une personne égale une voix". Ce principe nourrit l’équité et l’équilibre des pouvoirs dans les coopératives. La gouvernance démocratique est aussi dans le pouvoir accordé à tous les membres d’élire directement le conseil d’administration (CA) ou le Directoire et le conseil de surveillance, d’apprécier et de sanctionner leur gestion dans un cadre participatif : l’Assemblée générale, organe souverain détenteur exclusif des pouvoirs.

Le régime de gouvernance diffère selon la forme juridique de la coopérative. La CGS considère que le régime de gouvernance issu de la forme S.A est synonyme de surface financière plus importante, de société plus structurée et ne dépendant pas d’une seule personne. Dans ce régime, le contrôle démocratique n’est pas synonyme de gestion collective où tous les associés participent directement à la prise de décision quotidienne.

Les décisions de gestion relèvent des prérogatives des dirigeants élus par leurs pairs sans immixtion aucune de la part des autres membres. Seules les décisions qui engageraient la coopérative sur le long terme échappent aux dirigeants et relèvent de la compétence de l’assemblée générale. Les relations des dirigeants avec les membres sont équilibrées, cohérentes et faiblement conflictuelles par le fait que les dirigeants jouissent d’une légitimité élective et sont issus de la base.

2) Le CA dans l’action collective finalisée 

Le CA est la première "ligne de défense" dans la régulation interne (Denis et McConell, 2003). Dans le même esprit, le rapport Bouton (2002) et toutes les recommandations ultérieures (MEDEF, AFEP…) font du CA un organe central dans la régulation interne. Le statut de la société coopérative européenne (SSCE) retient la même conception du CA, mais lui attribue une finalité en lien avec les principes de la coopération. C’est un organe collectif de décision et un mandataire social collectif. Le pouvoir démocratique échoit en effet à tous les membres au sens de la définition donnée par l’ACI : "les coopératives sont des organisations démocratiques dirigées par leurs membres qui participent activement à l’établissement des politiques et à la prise de décision". 

La désignation d’administrateurs indépendants est peu pertinente dans les coopératives pour au moins deux raisons. Le principe "un homme = une voix" écarte l’existence dans la coopération d’actionnaires minoritaires (à l’exception des associés extérieurs) et leur présence dans le conseil peu être contradictoire avec l’identité de la structure, car comportant le risque de "dégénérescence de but" (Trembley, 2007) au sens où les finalités capitalistes lucratives l’emporteraient sur la raison d’être de la coopération.

L’administrateur est un acteur issu de la base, mu par les valeurs et les principes de la coopération. Il s’engage dans la conduite des affaires "non pas par intérêt financier, mais par conviction" et la légitimité de son indépendance "tient bien au mandat qu’il exerce par le biais de son élection (…) et continuellement confortée par un processus démocratique authentique". Le soustraire donc au processus électoral "le désolidariserait des intérêts de l’organisation et des sociétaires" (IFA, 2006). 

3) La rémunération : la gratuité, un principe coopératif

La rémunération des dirigeants a toujours été problématique dans les sociétés cotées en bourse. Elle a été souvent à l’origine de nombreux scandales comme le fait remarquer le rapport Houillon (2009). Ces scandales sont dramatiques dans un contexte économique et social difficile où le chômage a atteint des niveaux sans précédent et où l’économie côtoie continuellement la récession. Ces scandales s’expliquent en partie par la pression des marchés financiers (la valeur actionnariale) où la rémunération est un levier d’incitation des dirigeants à prendre des décisions confortant leurs attentes.

Ce contexte n’est pas celui des coopératives. Dans ces structures, le dirigeant est un militant de l’égalité, du partage et de la solidarité. Son engagement est un "engagement citoyen". Le mandat d’administrateur élu dans les structures de coopération n’obéit pas la logique financière des administrateurs et dirigeants des firmes classiques cotées. Son mandat relève du quasi-bénévolat.

4) L’opérationnalisation des pouvoirs dans les coopératives

La coopérative S.A a la possibilité de choisir entre deux formules d’organisation des pouvoirs de direction et de contrôle : la formule "moniste" à CA et la formule "duale" reposant sur couple directoire/conseil de surveillance. Les coopératives dotées d’un CA ont également le choix entre la dissociation des fonctions de président et de directeur général ou la fusion de ces deux fonctions.

La dissociation de ces deux fonctions est une formule souvent retenue par les coopératives pour éviter une certaine forme de concentration de pouvoirs entre les mains d’une seule personne. La pratique nous révèle que de nombreuses coopératives S.A choisissent une structure bicéphale en dissociant les fonctions de président et de directeur général. Selon la CFCA (2002), le bicéphalisme est "un facteur d’équilibre essentiel caractéristique de la gouvernance coopérative". 

Les comités dans les petites coopératives nous paraissent peu adapter compte tenu des valeurs partagées et de la forte proximité des acteurs de la chaine de décision. Ils s’imposent cependant dans les groupes coopératifs, où les entités opérationnelles sont éloignées du centre et où le besoin de suivi, de reporting et de contrôle est important.

5) L’éducation, un besoin d’identification sociale et de construction des rôles

Dans les structures de coopération, la formation est un devoir qui répond aux exigences de démocratie participative et d’éducation des membres. Servir les membres, c’est "faire plus que d’élever leur niveau de vie, c’est contribuer à leur formation d’hommes. La tâche éducative, l’aspiration à la noblesse morale appartiennent à l’essence de la coopération" (André Martin).

La formation dans ces structures relève d’un processus continu de socialisation des membres en vue de leur permettre de construire leur rôle dans l’action collective. Un artisan, un agriculteur, un enseignant peuvent se révéler d’excellents administrateurs ou dirigeants au sens où le système de coopération est une forme de promotion de la diversité des modèles d’ascension et de réussite sociale (IFA, 2006)

Nacer Eddine SADI & Françoise Moulin, professeurs à Grenoble École de Management

Source principale : Nacer Eddine SADI & Françoise Moulin, "la gouvernance des structures à forte identité sociale", Ouvrage collectif "l’entreprise coopérative : L’organisation de demain", Ellipse 2013

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