Témoignage

Placements abusifs d'autistes : «En France, on n’a plus le droit d’avoir des enfants différents ?»

Sophie a été victime d'un signalement abusif et a failli perdre la garde de son fils, que les professionnels croyaient victime de carences affectives.
par Elsa Maudet
publié le 11 août 2015 à 7h23

Lorsqu'elle décroche le téléphone, Sophie (1) a une petite voix. En Isère, une femme qu'elle aide depuis un moment vient de remettre ses trois enfants à l'Aide sociale à l'enfance pour un placement. L'un a été diagnostiqué autiste et de forts soupçons d'autisme pèsent sur les deux autres. «Ils lui ont arraché ses enfants», lâche-t-elle. La situation lui rappelle sa propre histoire : il y a quelques années, le centre d'action médico-sociale précoce (CAMSP) qui suivait son fils, de 7 ans et demi aujourd'hui, repère chez lui des «carences psycho-affectives». Sophie n'est pas d'accord avec cette accusation et s'interroge : et s'il était autiste ?

En janvier 2011, on lui reconnaît officiellement des troubles envahissants du développement. Le petit garçon est autiste. Mais «le CAMSP a lancé une information préoccupante. Il disait que j'inventais les troubles de mon fils, que je voulais qu'il soit autiste, que je le manipulais pour qu'il le soit.» Le centre lui «diagnostique» (sans analyse médicale) un Münchhausen par procuration, syndrome dont la réalité est contestée et qui consiste à provoquer de manière délibérée des problèmes de santé chez son enfant. «Des services sociaux se sont pris pour des médecins, dénonce Sophie. Ce sont des personnes qui ne sont pas formées à l'autisme, qui ont une formation archaïque. Dès qu'il y a un problème, c'est la faute de la mère.»  A cette époque, Sophie cherche aussi à comprendre ce qui cloche de son côté. On lui diagnostique finalement à elle aussi une forme d'autisme, Asperger. «Je savais que j'étais différente, mais je ne savais pas ce que j'avais. En tout cas, je savais que je n'étais pas folle.»

Deux ans après, toujours des «stigmates»

Parallèlement, les services sociaux diligentent une enquête. «L'ASE a menti en disant qu'il n'y avait pas de diagnostic d'autisme [sur son fils, ndlr]. Elle a menti sur les liens que j'avais avec le papa, or on est très amis même si on est séparés, elle disait que je changeais mon fils de prise en charge alors que je n'ai pas bougé du CAMSP, elle m'a reproché d'ouvrir mes fenêtres en plein mois de juin en disant que ça donnait des troubles ORL à mes enfants…», énumère-t-elle. Un placement est alors demandé. Lors du jugement, «je m'en suis pris plein la tête pendant trois quarts d'heure». Jusqu'à ce que son avocat – qu'elle s'est endettée pour payer – fournisse les preuves du diagnostic. «Le juge s'est calmé.» Après la mise en place d'une mesure judiciaire d'investigation éducative, la procédure débouche finalement sur un non-lieu. Son garçon peut rester auprès d'elle.

Durant toute cette période, «j'étais anéantie, j'ai eu très très peur, confie-t-elle. En France, on n'a plus le droit d'avoir des enfants différents ? On est tout de suite catalogué comme mauvaise mère ? L'autisme, ce n'est pas de notre faute. C'est déjà dur au quotidien, on n'a pas besoin de ça en plus.»

Deux ans après le non-lieu, elle conserve des «stigmates». Elle qui est au RSA a récemment reçu une facture de 500 euros. «J'ai préféré me mettre dans la merde que de demander de l'aide au conseil départemental, à laquelle j'ai droit.» La peur du moindre faux pas. «Si ma fille de 6 ans se coupe une mèche de cheveux, je panique. Je me dis oh là là, je vais me prendre un signalement. Je ne sais pas si ça passera avec le temps, la vie n'est plus pareille après.»

Au mois de septembre, son fils entrera en CE1. A l'école ordinaire, accompagné d'une auxiliaire de vie scolaire. «Il sait lire, il commence à comprendre les additions et les soustractions, il aime beaucoup l'école, il apprend à se faire des copains», savoure la maman. Elle a décidé de mettre son énergie dans l'accompagnement d'autres familles victimes de signalements abusifs. «J'en vois à la pelle, assure-t-elle. Et je ne suis qu'une maman, pas une professionnelle…» 

(1) Le prénom a été modifié.

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