Petite histoire de la pénibilité au travail

Comment la notion de pénibilité au travail a-t-elle évolué dans le temps ? ©Getty - Cultura RF/Zero Creatives
Comment la notion de pénibilité au travail a-t-elle évolué dans le temps ? ©Getty - Cultura RF/Zero Creatives
Comment la notion de pénibilité au travail a-t-elle évolué dans le temps ? ©Getty - Cultura RF/Zero Creatives
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On verra dans quelle mesure la réforme des retraites présentée tout à l'heure intègre la pénibilité. Cette reconnaissance et son calcul dans les retraites tiennent d'une longue marche, et pas en ligne droite, qui s'inscrit plus généralement dans une histoire de la santé au travail.

Le travail blesse, déforme, empoisonne, use, estropie, tue. Cela peut relever pour vous de l'évidence mais l'histoire des mouvements sociaux n'a pas toujours fait à cette question sa juste place. Les héros des luttes sociales occupaient l'espace : les sidérurgistes qui travaillaient an feu des hauts fourneaux, les mineurs sur leurs fronts de taille, les grévistes courageux. Les conditions quotidiennes de travail étaient souvent laissées dans l'ombre. Ainsi les conventions collectives arrachées en 1936 les considèrent-elles peu. Ce n'est pas un sujet premier de préoccupation pour le syndicalisme de l'époque. C'est à ses marges qu'un mouvement comme la JOC - Jeunesse ouvrière chrétienne - y consacre une grande enquête avant la guerre. "Un jeune travailleur vaut plus que tout l'or du monde", disait la JOC qui plaçait l'homme, la femme au centre de la fonction productive. Aujourd'hui encore, la CFDT qui a des racines catholiques sociales met davantage l'accent sur la pénibilité que d'autres organisations.

Pénibilité, le mot est récent, pas vraiment stabilisé dans ses définitions.

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Elle est plus facilement objectivable si elle est liée clairement à des troubles de la santé. Ceux qui impliquent des traitements et des limitations de capacité concernent aujourd'hui un tiers des individus de 18 à 35 ans, la moitié des quadragénaires, les deux tiers des quinquagénaires. C'est dès la seconde moitié du XVIIIe qu'un médecin du nom de Ramazzini, un italien, établit des corrélations entre la santé et l'exercice de certains métiers. A cette même époque en France, la Société royale de médecine ou l'Académie de sciences commencent à identifier la colique des peintres ou la maladie des doreurs et à préconiser une action publique de police sanitaire en faveur des ouvriers et des artisans.

Pourtant, il faut attendre la fin du XIXème pour qu'apparaissent les premières grandes lois en la matière.

La lame de fond de la révolution industrielle a pourtant imposé des conditions de travail qui, auparavant, seraient apparues comme insupportables mais le groupe de pression des patrons est tout puissant. C'est à grand peine qu'en 1841, un texte est adopté qui refuse le travail des enfants de moins de huit ans. Parallèlement, les enquêtes sur les taudis ouvriers expliquent que ce sont les conditions de vie à l'extérieur qu'on peut améliorer à condition que les ouvrières soient plus soigneuses et les ouvriers moins alcooliques

Qu'est-ce qui provoque le premier changement législatif à la fin du XIXe ?

La Troisième République s'était fondée sur un pacte avec les paysans. Elle commence enfin à s'intéresser à l'usine. Il a fallu pour cela que se constitue une vaste alliance politique entre des républicains de gauche, les socialistes, des journalistes, les catholiques sociaux aussi - j'ai déjà parlé ici de l'abbé Lemire, député maire d'Hazebrouck.

  • En 1892, loi sur le travail des femmes, puis loi sur l'hygiène industrielle dont les décrets d'application identifient les métiers à risques.
  • 1898, obligation pour l'employeur de réparer un accident du travail survenu dans son entreprise.
  • Enfin, dernière grande loi en 1911, après seize ans de combats parlementaires, sur les maladies professionnelles.

On se souvient par exemple des grèves des allumettières. Les allumettes ont d'abord été fabriquées avec du phosphore blanc dont les vapeurs provoquaient des nécroses maxillaires. Quantité de femmes défigurées devaient se faire amputer des mâchoires. Combien de temps a-t-il fallu pour remplacer le phosphore blanc par du phosphore rouge, moins nocif ? Il faut se souvenir que le premier rapport scientifique identifiant les risques provoqués par l'amiante date de 1906. Combien de temps a-t-il fallu pour introduire en la matière la notion de faute inexcusable de l'employeur et établir le droit à une indemnisation intégrale et imprescriptible.

Santé et pénibilité font l'objet de longs bras de fer entre les patrons toujours prompts au déni et les travailleurs qui peuvent être contraints au consentement.

Une des questions qui se pose alors est celle du rôle des professions sociales et médicales dans les entreprises. Si elles sont trop cloisonnées, elles ne peuvent dégager une vue d'ensemble et deviennent bureaucratiques. Ma sœur exerçait un métier rare qui parvenait à combiner le médical, le juridique, le social : celui de surintendante d'usine. Elle eut le malheur de travailler un moment chez Wonder à Saint-Ouen d'où elle rapportait le soir des récits qui m'effrayaient. Je viens de revoir le célèbre film militant tourné en juin 68 devant cette usine. Après la grande grève de mai, on venait d'y voter la reprise du travail. Une jeune ouvrière refusait de rentrer : "Non je ne retournerai pas dans cette taule, on est couverte de graisse, dégueulasses. Non !" Il en allait de sa dignité, de sa beauté, de sa santé. Pourtant les négociations de 1968 avaient davantage intégré les questions qui nous occupent qu'en 1936.

Je voulais juste signaler une autre date. 1975. Sous Giscard. Loi de revalorisation du travail manuel. L'âge de la retraite était alors 65 ans. Purent obtenir la retraite à 60 ans toutes sortes de catégories de travailleurs, ceux exposés aux intempéries au travail en continu, en demi continu, au four, à la chaine...

Tous ces gains seront comme aspirés par la généralisation de la retraite à 60 ans. Vous voyez bien qu'elle a été néfaste au moins par ses effets pervers.

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