Nouveau rapport au travail : travailler moins pour vivre plus

Les Français ont-ils un nouveau rapport au travail ? ©Getty - 10'000 Hours
Les Français ont-ils un nouveau rapport au travail ? ©Getty - 10'000 Hours
Les Français ont-ils un nouveau rapport au travail ? ©Getty - 10'000 Hours
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Selon une étude de l’Ifop pour la Fondation Jean Jaurès sortie hier, 61 % des salariés en France préfèrent gagner moins d’argent, mais avoir plus de temps libre. Ils étaient 38 % en 2008. Les Français ont-ils un nouveau rapport au travail ?

Avec
  • Marc Loriol Sociologue, directeur de recherches au CNRS et chercheur à l’IDHES Paris 1
  • Flora Baumlin Directrice d’étude à l’Ifop et experte à la Fondation Jean Jaurès
  • Romain Bendavid Directeur exécutif à l’Ifop et expert à la Fondation Jean Jaurès

L’aversion de la majorité des français pour le projet de réforme des retraites du Président Emmanuel Macron met en lumière un rapport au travail différent. Selon une récente étude de l’Ifop, 84 % des salariés considèrent que leur travail est “important” mais ils ne sont plus que 21 % à le décrire comme “très important”. Le travail ne serait donc plus au cœur de la vie des Français.

Il est vrai que les conditions de travail semblent se détériorer. Selon le baromètre de la vie au travail de Vivavoice publié en juin dernier, 24 % des salariés estiment que les conditions de travail se sont détériorées et 67 % pointe que “le lien humain qui prévalait par le passé entre salariés se détériore assez rapidement, de même que le sens donné au travail”.

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La “valeur travail” mise en avant par le gouvernement semble donc perdre de son sens pour bon nombre de français. Beaucoup militent d’ailleurs pour la semaine de quatre jours, ou encore pour le concept de “détravail” , qui vise à réfléchir à la place du travail dans sa vie. Si certains décident de partir à la retraite à 30 ans, d’autres souhaitent simplement réduire leur temps de travail.

La réforme des retraites nous parle bien sûr d'âge légal et d'annuités, mais ce débat-là n'est-il pas presque accessoire ? Elle nous parle de carrières longues ou courtes, de dos cassé, de fatigue, mais est-ce que c'est vraiment ça l'essentiel ? En réalité, cette réforme, elle parle de nous et de notre rapport au travail, notre rapport à cette valeur travail, la charge que nous y mettons.

À une époque travailler plus pour gagner plus, c'était un slogan qui pouvait fonctionner aujourd'hui, apparemment plus du tout. À une époque, les symboles de réussite faisaient des envieux. On n'en est plus là du tout. Évidemment, ceux qui n'ont pas de travail en veulent un, ceux qui en ont un ne le lâcheront pas pour sauter dans le vide. La démission est très marginale, mais le travail a perdu sa centralité dans nos vies. C'est cela qu'on entend dans les cortèges : le basculement, ce sont les confinement qui ont sans doute accéléré un processus en cours. La société d'avant mars 2020 n'est plus celle d'aujourd'hui et ces discussions sur l'allongement du travail paraissent s'appuyer sur une corde qui aujourd'hui fait mal.

  • Quel rapport les Français entretiennent-ils désormais au travail ?
  • Les Français, arrivent-ils encore à donner du sens à leur travail ?
  • Que signifie la valeur travail aujourd’hui ?
  • Est-ce qu'on peut demander aux gens de travailler plus si on ne leur permet pas de travailler mieux ?
  • Est-ce que c'est tout notre rapport au travail qui a été renversé ?
Histoires politiques
2 min

Depuis le confinement, notre rapport au travail n'est plus du tout le même

La crise sanitaire n'a fait qu'accélérer un nouveau rapport au travail qui était déjà en pleine gestation avant. La crise sanitaire a joué un rôle de catalyseur, d'accélérateur, de changement qui était déjà à l'œuvre. Le sociologue du travail Marc Loriol rappelle qu'avant le confinement, "il était fréquent d'entendre des personnes qui parlaient de rêves, de projets futurs, d'un changement radical. Quand bien ces personnes pouvaient avoir des postes à responsabilités, ils désiraient déjà réaliser un métier plus relationnel, plus authentique, plus autonome, mais sans passer à l'acte. Pour ceux qui passaient à l'acte, c'était souvent à l'occasion d'une crise, d'un burn-out, d'un licenciement, de la fermeture d'une entreprise et ne le faisaient pas dans les meilleures conditions. Le covid a été une sorte de révélateur et de crise du travail, de remise en cause éthique quant au poids de charge de travail, qui conduit aujourd'hui de nombreuses personnes à occuper un travail moins contraint".

Le travail est toujours important, mais moins central dans la vie des Français.e.s

Les trois experts nous expliquent que le travail continue d'être important, mais il moins fondamental qu'avant. Car aujourd'hui, il n'y a plus cette centralité autour de la valeur travail. On ne cherche plus à se réaliser uniquement par le travail. On recherche un plus grand équilibre entre implication, intensité et reconnaissance au travail. On se fixe désormais des limites qu'on ne se fixait pas autrefois.

Une désacralisation du rapport au travail

D'après Flora Baumlin, on assiste vraiment à une forme de "désacralisation du rapport au travail, qui est vu davantage comme un moyen que comme une fin en soi. Les aspirations traditionnelles vis-à-vis des symboles de réussite qui consistent à travailler énormément reculent très nettement. Ce qui a conduit beaucoup d'entreprises à rationaliser leur espace de travail, à revoir le rapport à la hiérarchie, à installer une culture de management beaucoup plus horizontale et socialisante".

En cause : un manque de reconnaissance au sein de son travail

Si le travail est moins central depuis la crise sanitaire, les salariés ont toujours le sentiment d'être aussi impliqués. Le problème majeur auquel la société est confrontée selon les trois experts, c'est le manque de reconnaissance perçue dans son propre travail d'où un contrat social qui se serait sérieusement dégradé au fil des années. Ce ne serait donc pas un désinvestissement du travail, ni même les salaires qui expliquent cette crise du rapport au travail, mais une démotivation liée à une perte du sens au sein du travail.

Flora Baumlin rappelle quelques chiffres à l'appui : "Ce qu'il s'est passé sur 30 ans, c'est la dégradation de ce contrat social qu'on a avec le travail. Là où il y a 30 ans, c'est 1 Français sur 4 qui s'estimait perdant dans son rapport au travail, aujourd'hui, c'est 1 sur 2. Il n'y a plus d'équilibre dans le rapport au travail. La moitié des Français considère qu'ils donnent plus que ce qu'ils en retirent. C'est cette dégradation-là qui pousse à ce changement de rapport au travail. On a constaté que sur plus de 15 ans la fierté dans son travail s'est progressivement délitée chez les salariés. C'est pourquoi les travailleurs sont en quête d'un rééquilibrage, qui consiste à remettre le travail à sa juste place dans l'ensemble de sa vie. Faire simplement ce qui est attendu sans forcément faire plus. À savoir que les trois-quarts des salariés français admettent qu'ils font plus que ce qui est attendu. À défaut de reconnaissance, ils estiment qu'il vaut peut-être mieux en faire un peu moins et se sentir rééquilibré pour se sentir un petit peu plus gagnant dans son rapport au travail".

La suite à écouter…

Avec nous pour en parler

  • Marc Loriol, Sociologue du travail et chercheur au CNRS
  • Flora Baumlin, directrice d’étude à l’Ifop et experte à la Fondation Jean Jaurès
  • Romain Bendavid, directeur exécutif à l’Ifop et expert à la Fondation Jean Jaurès

Les deux experts de l'Ifop sont les auteurs d'une note intiulée "Je t'aime moi non plus. Les ambivalences du nouveau rapport au travail" qui vient de paraître sur le site de la Fondation Jean-Jaurès.

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