La religion en entreprise, un problème ? Pas tant que ça

La religion en entreprise, un problème ? Pas tant que ça
Des mains pendant une prière (photo d'illustration). (DOMAINE PUBLIC)

"On est vite mal à l'aise", admet le président de l'Association nationale des DRH. Mais les entreprises inventent des solutions. Charte de la laïcité, cantines, jour de congé... Tour d'horizon.

Par Le Nouvel Obs
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Au nom de la laïcité républicaine, une musulmane voilée doit-elle retirer son voile au travail ? Et un juif, sa kippa ? La confirmation du licenciement de la salariée voilée de la crèche Baby Loup par la Cour de Cassation le 25 juin 2014 donne le ton : oui, l'employeur peut restreindre la liberté religieuse de ses employés, mais seulement si l'activité exercée le justifie. Ainsi, la laïcité stricto sensus n'est imposée qu'aux salariés des entreprises publiques.

Voilà pour la théorie. En réalité, le fait religieux "reste toujours sensible et délicat" à traiter, constate Jean-Christophe Sciberras, le président de l'Association nationale des DRH. "On est vite mal à l'aise", confie-t-il. Et même si "quantitativement parlant, la problématique n'est pas importante comparée à d'autres, on rencontre aujourd'hui plus de problèmes qu'avant". Il poursuit :

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Il y a plus de diversité religieuse en France et également moins de pudeur. On hésite moins que par le passé à affirmer son identité religieuse".

Que tentent les entreprises privées pour gérer ce phénomène ? Tour d'horizon.

"Bienvenue, mais sans voile"

Chez Paprec, entreprise de recyclage composée de "4.000 salariés" répartis sur "80 sites en France", on a voté "une charte de la laïcité" en automne dernier, "avec 100% d'approbation des représentants des salariés", raconte Sylviane Troadec, la directrice des ressources humaines du groupe. Une première en France. Cette charte comporte 8 points, dont l'interdiction du port de tout signe religieux.

L'activité la justifie-t-elle ? "Non, mais le bien vivre-ensemble au sein de notre entreprise, si." Pourquoi ? "On a jamais eu de problème mais c'est une affirmation de la diversité."

On souhaite que les salariés se voient comme des collègues de travail, comme des individus, et non pas comme des membres appartenant à des communautés", poursuit Sylviane Troadec.

Mais cette charte est "borderline", reconnait-elle. La DRH précise que si une femme arrive voilée à son entretien d'embauche, "on lui dira non". Mais "attention, il ne faut pas que la religion soit un critère de discrimination à l'embauche : on a toutes les religions dans notre société. On fait commencer une heure plus tôt les équipes dans lesquelles il y a une personne musulmane lors du Ramadan, certains partent plus tôt le jour de Noël..." 

Cette candidate est la bienvenue mais sans voile," conclut-elle. 

N'est-ce pas carrément illégal ? "C'est un très grand mot. Je dirais que le problème de la laïcité en entreprise privée est récent et que l'on est devant un vide juridique." 

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Un point que contesterait sans doute Jean-Christophe Sciberras puisque, pour le président de l'ANDRH, "il faut penser à l'aspect économique. Prendre la personne la plus compétente par rapport aux besoins du poste est l'essentiel." Et si cette personne porte un voile mais qu'elle "ne fait pas de prosélytisme, ce qu'on ne peut présumer, qu'elle n'est pas en contact avec la clientèle et que la sécurité au travail n'en est pas amoindrie", alors elle doit être embauchée. Et de nuancer : "Des managers très biens se posent ces questions; il faut juste les inciter à une plus grande tolérance, à s'affranchir d'idées reçues." De son côté, Paprec a envoyé son règlement intérieur à l'Inspection générale du travail au printemps, et n'a toujours pas eu de retour.

Différents, mais derrière le costume seulement

Chez Disneyland, on prône "une égalité de traitement". "Sur un seul site", l'entreprise regroupe "15.000 salariés", indique un porte-parole de Disney. Et combien de religions ? "Nous ne sommes pas en mesure de le dire," mais avec "100 nationalités et 20 langues parlées", on peut vite déduire qu'une grande variété cohabite. Ce porte-parole souligne : "Nous sommes une entreprise laïque".

Interdiction des signes religieux donc ? "Oui, quand le travail demandé nécessite des interactions avec le public. Les costumes garantissent une égalité de traitement. On offre aussi des aménagements horaires." Sur demande religieuse ? "Nous ne détenons pas de telles informations." Et des jours flottants ? "Non."

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Les onze cantines accessibles sur le site veulent refléter leur politique :

Les menus proposent un choix très large, attractif, pour que tout le monde puisse se nourrir mais sans labellisation 'casher' ou hallal'. On garantit également l'amplitude des horaires."

Le discours de Disneyland est simple : chez eux, il n'y aurait pas de problème interne lié au fait religieux, et cela quelque soit le poste occupé. Et lorsque les salariés se plaignent à l'IDEcM, la cellule mise en place en 2008 pour lutter contre les discriminations en interne, les critiques tourneraient d'abord autour de "l'égalité des sexes, de l'apparence physique, notamment du surpoids et de la couleur de peau".

 

Un syndicaliste musulman de la CGT prie dans un parking PSA Peugeot, le 15 décembre 2011 à Aulnay-sous-Bois, dans le nord de Paris. (JACQUES DEMARTHON/AFP)

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"Réglementer serait contre-productif"

Chez Clara.net, une PME de 130 salariés qui propose de l'hébergement pour de l'info gérance, pas de règle formelle pour encadrer les signes religieux, mais des adaptations au cas par cas. "Une petite partie de la population est musulmane", indique Bérangère Benon, la directrice des ressources humaines. "On cherche à rester pragmatique : par exemple, on aménage les horaires lors du Ramadan."

Qu'en est-il des revendications vestimentaires ? Si une employée arrivait voilée, "ce serait une situation délicate à gérer," reconnait cette directrice.

Certains employés ont des contacts avec les clients et puis, je ne sais pas comment cela serait vécu au sein de l'équipe..."

Un problème de perception et de réception donc, mais côté pratique, le voile poserait-il problème ? "Au contraire d'une niqab ou d'une burqa, le voile ne troublerait pas le fonctionnement interne de l'entreprise, par exemple il ne perturberait pas les normes de sécurité ou l'utilisation du badge."

Il y a peut-être un pas à franchir en France pour s'habituer au voile."

Faut-il réglementer ? Bérangère Benon s'y oppose : réglementer, surtout "lorsque peu de salariés sont concernés", serait contre-productif.

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A force de trop légiférer, on provoque une rigidification des positions de tout le monde. Les employeurs vont ensuite avoir peur de se risquer et d'embaucher des personnes qui pourraient avoir des revendications religieuses".

Un guide pratique

Si les entreprises contactées affirment toutes ne pas rencontrer de difficultés, l'Alliance du Commerce a tout de même trouvé nécessaire d'écrire un guide pratique sur le fait religieux, guide qui se fonde justement sur des questions qui lui sont posées par des entreprises privées...  "Les entreprises avec lesquelles on a parlé disent que la problématique est marginale, mais qu'elles ont peu d'outils pour y faire face." 

Il ne faut pas pousser trop loin l'idée que la liberté religieuse est un droit fondamental et inaliénable", conclut ce guide.

Mais il faut également "respecter les convictions" et "comprendre que la religion puisse être importante pour certaines personnes", ajoute de son côté le président de l'ANDRH. Comme ce jour où "un directeur général n'a pas pu assister à l'assemblée des salariés de son entreprise en grève car il fêtait Yom Kippour et que c'était primordial pour lui". Un jeu d'équilibriste donc pour les entreprises..Certaines offrent déjà chaque année un jour "religieux" de congé payé aux salariés qui le demandent, tandis que la fête de Noël est, elle, rebaptisée "fête de fin d'année".

Clara Wright - Le Nouvel Observateur

Le Nouvel Obs
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