La réforme des retraites fragilise-t-elle le bénévolat ?

Des bénévoles des Restos du Cœur, le 11 novembre 2022 ©AFP - ALAIN JOCARD
Des bénévoles des Restos du Cœur, le 11 novembre 2022 ©AFP - ALAIN JOCARD
Des bénévoles des Restos du Cœur, le 11 novembre 2022 ©AFP - ALAIN JOCARD
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Alors que les députés ont jusqu’au 17 février pour étudier le projet de loi sur les retraites, le recul de l’âge de départ inquiète le monde associatif : 1 bénévole sur 3 est retraité en France. Vecteur de lien social, parfois relai des services publics, le bénévolat va-t-il souffrir de la réforme ?

Avec
  • Dan Ferrand-Bechmann Sociologue, professeure émérite à l’Université Paris 8
  • Marlène Schiappa Secrétaire d'état chargée de l’Économie sociale et solidaire et de la vie associative
  • Henriette Steinberg Secrétaire générale du Secours Populaire

Les bénévoles sont considérés comme la « colonne vertébrale » d’un réseau associatif français mis à mal par la crise de la COVID, qui a éloigné une partie des retraités des missions associatives qu’ils et elles s’étaient donné. Car plus d’un bénévole sur trois est actuellement à la retraite.

Et la réforme en cours semble inquiéter les responsables du million cinq cent mille associations actives. Car en repoussant l’âge de départ à la retraite, ils craignent que l’afflux de celles et ceux qui, souvent un an après avoir quitté leur travail, dédient une partie de leur temps à cette cause ne se réduisent.

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Pour en débattre, Emmanuel Laurentin reçoit Dan Ferrand-Bechmann, sociologue, professeure émérite à l’Université Paris 8 ; Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'Économie sociale et solidaire et de la Vie associative ; Henriette Steinberg, secrétaire générale du Secours populaire français depuis 2019.

Le portrait du bénévole français

« Il est curieux en France qu’on dise que les gens veulent s’arrêter de travailler plus tôt, mais dès qu’ils arrêtent de travailler, ils vont s’empresser de faire du bénévolat » s’amuse Dan Ferrand-Bechmann, précisant que plus d’1 bénévole sur 3 est retraité. « Le bénévolat, c’est ce qu’on choisit de faire » explique-t-elle, « choisir quelque chose et le faire librement, c’est un engagement très fort qui va vous porter : vous allez re-travailler de façon extrêmement utile pour la nation ». Pour Henriette Steinberg, « avoir une activité bénévole, ce n’est pas une question d’âge, c’est une question de choix ». Marlène Schiappa approuve : le bénévolat n’est pas, en soi, une activité de retraités, « la conciliation salariat-bénévolat est aussi importante ».

Une loi qui fragilisera le bénévolat ?

Dan Ferrand-Bechmann s’inquiète des conséquences du projet de loi de réforme des retraites sur la vigueur du bénévolat en France : « l’apport bénévole en temps donné par les retraités est très important » s’exclame-t-elle, « arrêter le travail à 64 ans, ça va priver les villages, les villes de cette aide, du bénévolat qui tient le tissu local ». Elle fait le parallèle avec le travail domestique de solidarité familiale : « tous ces gens qui travaillent et qui doivent faire plus pour aider des malades, des personnes mourantes, ce bénévolat presque obligatoire de gens qui travaillent, va aussi être attaqué par le recul de l’âge de la retraite ». « Je ne crois pas que ce soit avec quelques mois de décalage de départ à la retraite qu’on créera un problème » contredit Marlène Schiappa, « la réforme repousse l’âge moyen : en moyenne tout le monde ne partira pas à 64 ans ». Et concernant le travail domestique non-rémunéré, « qui repose majoritairement sur les femmes », elle défend son bilan : « on a créé le congé ‘proche aidant’ pour que chacun puisse se rendre disponible dans ces conditions-là ».

Un engagement civique à valoriser

Pour Henriette Steinberg, « tout ce qui permet à des personnes de se sentir mieux, et d’être plus investies dans la vie de la cité, du monde, est bon à prendre ». Pour développer et valoriser cet engagement, elle cite par exemple les « conventions avec plusieurs entreprises qui permettent à des personnes de consacrer de nombreuses journées pour répondre à des besoins techniques au Secours Populaire ». Le rôle des associations est central pour Marlène Schiappa, à la fois comme « opératrices de politiques publiques » et lorsqu’elles viennent compléter l’action de l’Etat ou pallier ses carences. C’est la raison pour laquelle l’engagement bénévole est à valoriser, comme avec la « validation des acquis d’expérience bénévole ». Pour elle, l’enjeu est aussi d’impliquer la jeunesse, déjà bien engagée : « en 2021, 25% des Français sont bénévoles, et 29% des 16-24 ans ». Henriette Steinberg est optimiste : « les jeunes eux-mêmes trouvent de nouvelles formes de solidarité, encore faut-il leur donner confiance et leur ouvrir les portes ».

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