Assistanat : épisode • 28 du podcast Les termes du débat

La République nourrit ses enfants et les instruit, 1848. Daumier Honoré (1808-1879)
La République nourrit ses enfants et les instruit, 1848. Daumier Honoré (1808-1879)
La République nourrit ses enfants et les instruit, 1848. Daumier Honoré (1808-1879)
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France qui travaille ou France des allocations : une véritable fracture qui traverse la tradition politique française. L'assistanat est un terme très connoté à droite, et qui sert à évoquer les dérives et les abus de l'Etat-providence. Quelle est la réalité des aides sociales en France ?

Avec
  • Jeanne Lazarus Directrice de recherche au CNRS et membre du centre de sociologie des organisations à Sciences Po
  • Julien Damon Sociologue, professeur associé à Sciences Po

Pour cette émission spéciale Les Termes du débat, Emmanuel Laurentin reçoit Jeanne Lazarus, sociologue et professeur à Sciences Po, spécialiste de la banque, de la Consommation et de l’Argent, et Julien Damon, sociologue, enseignant à HEC et à l’école nationale supérieure de sécurité sociale.

Les déclarations de Fabien Roussel, secrétaire national du Parti Communiste Français, à la fête de l’Humanité sur la gauche du travail et celle des allocations ont contribué à relancer le débat. Déjà, lors de la présidentielle de 2007, le débat prenait place, entre Ségolène Royal qui déclarait : "je ne suis pas favorable à une société de l’assistanat' et Nicolas Sarkozy qui voulait redonner sa place centrale à la 'valeur travail".

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Mais, au-delà des polémiques récurrentes sur l’usage supposément dispendieux des aides sociales dans les familles les plus pauvres, que sait-on précisément des évolutions récentes de ces aides, des arbitrages entre argent public et endettement privé, des politiques de l’argent comme notre première invitée, Jeanne Lazarus, les a nommées dans son dernier livre. Elle débattra du terme d’assistanat avec le sociologue Julien Damon.

Idéologie républicaine du travail

"Dans le bloc de constitutionnalité français" rappelle Julien Damon, "c’est-à-dire dans le préambule de la Constitution de 1946, il est écrit que tout citoyen en France a le devoir de travailler et le droit d'être aidé pour trouver un emploi". Cette dualité et les formes qui lui sont données prennent donc appui sur un des fondements de notre société : le travail émancipateur. Historiquement, explique Jeanne Lazarus, "c'est la crise des années 80 qui se met à créer du chômage en France et qui fait que l'état social va se renforcer en recréant des formes d'assistance. Dans un premier temps, le RMI est voté à l'unanimité avec une sorte de consensus de la gauche jusqu'à la droite, pour dire qu’avec la transformation de l'économie, il n'y a plus de travail pour tout le monde et donc il est juste que la société vienne en aide à ceux qui n'ont plus de travail, car ce n'est pas de leur faute". Et c’est bien à cet endroit que l’Etat-social est critiqué : personne ne vient remettre en cause les allocations familiales, les niches fiscales ou le système de santé. Pourtant, d’après Julien Damon, "le RSA, c'est 10 milliards d'euros, les dépenses de protection sociale, c'est 800 milliards d'euros".

Le problème n’est donc pas tant budgétaire que moral : il s’agit d’établir la légitimité du bénéficiaire de l’aide sociale et son allégeance à la valeur travail. Jeanne Lazarus explique : "c'est que l'assistance aux pauvres n'est pas dirigée vers les pauvres, mais elle est dirigée vers la société qui décide comment elle veut assister les pauvres. Donc les pauvres n'ont rien à dire en fait. Et cet argent ne leur appartient pas vraiment (…) c'est aussi un moyen potentiel pour le capitalisme de dire aux gens qui sont dans le travail de faire attention : si vous n'acceptez pas nos conditions, il y a des gens qui sont en situation plus difficile que vous qui les accepteront. Il y a aussi une forme de pression politique à mettre en avant cette distinction".

L’allocataire ou le mauvais pauvre

Le rapport au travail, construit autour de cette idéologie, implique une division du social explique Jeanne Lazarus : "autant les femmes chargées d'enfants, les veuves ou les invalides de guerre, sont considéré**s comme des assistés légitimes. Autant des hommes qui sont en bonne santé, qui sont jeunes et qui n'ont pas de travail, la société ne sait pas comment accepter cette situation. Or aujourd’hui, il y a des parcours de vie qui ne distinguent plus clairement des groupes d'assistés. Beaucoup de gens passent d'une situation à une autre. (…) Et finalement, il y a aussi derrière ça, tous les discours sur l'idée qu'il y aurait les Français et les immigrés…". Cette question morale s’appuie historiquement sur une multitude de termes d’après Julien Damon : "jusqu'aux années 70, le premier sujet est celui des inégalités. Dans les années 80, on a évoqué la nouvelle pauvreté. Dans les années 90, le grand sujet, c'était l'exclusion. Nous avons un grand retour du vocabulaire de la richesse et de la pauvreté avec ce thème général de classes moyennes qui sont globalement des populations qui ne sont ni assez pauvres pour bénéficier des prestations d'aide sociale, ni assez riches pour bénéficier des réductions d'impôts et qui à ce titre sont celles qui se plaignent le plus des assistés riches et des assistés pauvres".

Mais face à la constance de ces discours critiques autour de l’assistanat, Jeanne Lazarus rappelle que le monde du travail a fortement évolué : "il y a une instabilité de la vie beaucoup plus grande avec un modèle de protection qui est fondé sur la stabilité. Et donc, ce qu'on voit, c'est vraiment cette individualisation de la protection et l'idée que c'est par la transformation des individus qu'on va réussir à les aider à aller mieux". Une politique du désinvestissement plutôt que d’adaptation.

Pour aller plus loin :

  • L'ouvrage de Julien DamonAux frontières du logement ordinaire, sera disponible à partir du 6 octobre 2022, aux Editions de l'Aube
  • L'ouvrage de Jeanne Lazarus Les politiques de l'argent, publié cette année aux PUF
58 min

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