Costa Rica, l'or vert menacé

Le Costa Rica est souvent présenté comme un "Etat vert", un "champion de la biodiversité" ©Radio France - Julie Pietri
Le Costa Rica est souvent présenté comme un "Etat vert", un "champion de la biodiversité" ©Radio France - Julie Pietri
Le Costa Rica est souvent présenté comme un "Etat vert", un "champion de la biodiversité" ©Radio France - Julie Pietri
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Le Costa Rica est souvent perçu comme un "État Vert", un "champion de la biodiversité". Car ce petit pays a des arguments, question environnement. À lui seul, il concentre 4% de la biodiversité mondiale. Son électricité est "durable" à presque 100%. Mais sur place, les écologistes s'inquiètent.

Avec
  • Ghislain Vieilledent Écologue, spécialiste des forêts tropicales, chercheur au Cirad (Centre international de recherche agronomique pour le développement)

Ce 'Grand Reportage' a été diffusé pour la première fois le 29 octobre 2021

Le panneau est planté sur un bord de route. À une vingtaine de minutes en voiture de la capitale San José, le Parc National Braulio Carrillo, 50 000 hectares, fait vite oublier les camions bruyants et les 4X4 XXL qui circulent partout au Costa Rica. "Pour décrire ce que nous voyons, je dirais que, vue d'en haut, la forêt ressemble un peu à un brocoli", plaisante Gino Biamonte Castro. Aujourd'hui à la retraite, ce biologiste, membre de l'ONG de protection des forêts Apreflofas, semble heureux, dès qu'il commence à arpenter cette "jungle". "Je m'y sens bien". Il faut dire que le paysage est incroyable.

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Dans le parc National Braulio Carrillo
Dans le parc National Braulio Carrillo
© Radio France - Julie Pietri

Des lianes. Des fougères. Des feuilles si grandes que certaines pourraient abriter un homme. Gino Biamonte Castro fait une pause quelques instants près d'un arbre dont le tronc mesure plusieurs mètres de large. Et que dire de sa hauteur? Il semble gratter les nuages. "Nous sommes actuellement dans ce que l'on appelle une forêt tropicale humide. C'est une forêt toujours verte, où la vie est extrêmement diverse. Sur un seul hectare de forêt comme celle-ci, vous pouvez avoir 200, 300 espèces différentes d’arbres et beaucoup de plantes. Tout autour, il y a des insectes, des amphibiens, des reptiles, des oiseaux, des mammifères… Une étude a démontré que chaque plante est liée à une vingtaine d’espèces qui vivent en relation avec elle."

A l'entrée du parc, un panneau prévient les visiteurs des possibles dangers
A l'entrée du parc, un panneau prévient les visiteurs des possibles dangers
© Radio France - Julie Pietri

Avant le début de notre visite, un garde forestier nous a prévenus, les messages d'avertissements, "Danger, chutes d'arbres", "Attention aux serpents venimeux" installés bien en évidence aux entrées du parc, ne doivent pas affoler les randonneurs. "Puisque les animaux ici sont libres, il peut arriver que pendant une balade, un touriste tombe sur un serpent. Dans ce cas-là, notre recommandation, c’est ne pas le déranger. Vous nous prévenez, et on vient le retirer. Quant aux pumas et aux jaguars, ce sont des animaux très difficiles à observer le jour. Le jaguar est un animal qui ne se laisse pas voir facilement par l’être humain. Et ce ne sont pas des animaux qui attaquent, parce qu’ils ont beaucoup de nourriture ! Ils n’ont pas besoin de s'en prendre à un être humain."

Gino Biamonte n'a croisé un jaguar qu'une seule fois. "J'aimerais en revoir un, un jour".

En attendant, il observe tout. Les papillons bleus, jaunes, qui volettent autour de lui. Les fourmis à ses pieds qui transportent des feuilles dix fois plus grandes qu'elles, des lézards aussi, qui se prélassent au bord d'un ruisseau. "Regardez ces fleurs rouges qui ont une forme allongée, comme un tube : elles sont la spécialité des colibris. Ils volent de fleur en fleur toute la journée, pour boire leur nectar."

Gino Biamonte Castro, de l'ONG Apreflofas
Gino Biamonte Castro, de l'ONG Apreflofas
© Radio France - Julie Pietri

Un territoire réduit mais une biodiversité extrêmement riche

Le territoire du Costa Rica est minuscule : 51 000 kilomètres carrés. Près de 10 fois moins que la France métropolitaine. Pourtant, il concentre à lui seul 4% de la biodiversité mondiale_. "Nous avons deux côtes très proches l’une de l’autre, avec beaucoup de montagnes, de volcans au milieu. Cela crée d’énormes variations de climats et donc d'habitats différents pour la faune et la flore",_ explique le biologiste. "On pourrait dire que nous sommes ... comme un endroit à garder, s'il devait se passer quelque chose. C'est un peu de la science-fiction, mais on pourrait imaginer qu'avec toutes les espèces que nous avons ici, nous aurions un bon échantillon génétique à réimplanter. C’est notre plus grand patrimoine.  Pour nous, les biologistes, c’est un trésor incroyable."

Le Costa Rica concentre 4% de la biodiversité mondiale
Le Costa Rica concentre 4% de la biodiversité mondiale
© Radio France - Julie Pietri

Pour protéger ce patrimoine, le Costa Rica, a depuis les années 70, musclé petit à petit sa législation. Il existe aujourd'hui à travers le pays 27 parcs nationaux, protégés, veillés par le SINAC, l’Organisme de conservation de la nature au Costa Rica. "Il y a 27 parcs nationaux, c'est vrai, précise Henry Ramirez Molina, en charge des questions de biodiversité, mais dans le pays, il y a au total actuellement 144 secteurs protégés. Cela veut dire que nous avons à peu près 25% de notre territoire qui est classé. Il n'y a pas beaucoup de pays, dans le monde, qui seraient capables de dire : « Je vais sacrifier 25% de mon territoire… pour faire de la conservation et de la protection ». C'est une grande réussite". Une grande réussite, grâce à des choix politiques forts. "Aujourd'hui, la moitié du territoire est recouverte d'arbres. Des arbres sous différentes formes : dans les parcs, les zones urbaines, les plantations, les forêts, les mangroves. Mais dans les années 70, nous étions tombés à presque 20% de couverture végétale ! Il y a 30-40 ans, la forêt était considérée ici comme un territoire inutile. Les gens ne connaissaient pas le réel potentiel de la forêt, son rôle dans l’évolution de l’environnement mondial. Certains politiques encourageaient leur élimination pour laisser place à la canne à sucre, au café. La déforestation a eu des effets bien sûr : perte de sols, de faune, de flore, contamination de l’eau. Il y a donc eu un moment où il a fallu dire stop."

Aujourd'hui, le "droit à un environnement sain et équilibré" est inscrit dans la Constitution.

La loi a beau être extrêmement protectrice au Costa Rica... Exemplaire même selon différents écologistes, son application laisse régulièrement à désirer et les pressions sur les espaces naturels se multiplient. "Oui, bien sûr, se désole Henry Ramirez Molina. C’est un problème permanent. Les menaces changent, mais subsistent. Il y a des gens par exemple qui ont besoin des espaces, des terres pour cultiver."

Plants de café dans une région montagneuse du Costa Rica
Plants de café dans une région montagneuse du Costa Rica
© Radio France - Julie Pietri

Il faut rouler près de deux heures, vers le sud, pour prendre la mesure de ces pressions sur les forêts. Canton de Dota. Région montagneuse de Los Santos.

Ici, des arbres, censés être protégés, intouchables, sont discrètement abattus, petit à petit puis remplacés par des arbustes aux graines vertes : des plants de café.

À bord d’une voiture tout terrain, Paola Castro Solis et Karl Quintanilla Retana, membres du mouvement écologiste local "Quercus" se dirigent vers la montagne, conduits par Osvaldo Duran Castro, sociologue, professeur à l'Institut technologique du Costa Rica et membre de la Fédération écologiste du Costa Rica. Le chemin de terre est escarpé, cabossé.  Pour leur sécurité, ce jour-là trois policiers les suivent à distance en voiture. Si eux ne souhaitent pas s'étendre sur les raisons de leur présence ("nous ne pouvons pas faire de déclarations"), Osvaldo précise : "Nous avons reçu beaucoup de menaces de cultivateurs qui coupent la forêt pour mettre du café à la place. Quand ils le font, nous les dénonçons, rien d’autre. Mais pour éviter tout incident, la police nous accompagne aujourd'hui". Près d'une rivière, un rocher a été recouvert de tags. Le nom de Karl y est inscrit, accompagné d'une série d'insultes.

Le nom de Karl est inscrit sur ce rocher ainsi que plusieurs insultes
Le nom de Karl est inscrit sur ce rocher ainsi que plusieurs insultes
© Radio France - Julie Pietri

Originaire de la région, ce médecin, dont le grand-père cultivait du café - "sans couper aucun arbre" précise-t-il -, montre du doigt la colline en face : "Tout ça, c’était de la forêt il y a dix ans, de la forêt primaire et secondaire. Ici, nous avions des espèces comme le magnolia, le chêne, le chêne vert, l’avocatier… Ces arbres ont été totalement rasés comme vous pouvez le voir. Et pourtant, 85% de la région est classée « réserve forestière » : nous sommes au cœur de la réserve de los Santos ! Cette situation est totalement illégale." Ce qui saute aux yeux également, c'est le dénivelé : les plants de cafés sont plantés sur des terrains extrêmement pentus : "Ces cultivateurs utilisent des herbicides, des produits agrochimiques. Tout cela, avec la pente, descend directement dans la rivière Naranjo, qui est une rivière protégée."

À quelques minutes de là, le déboisement est également en route, mais plus discret. "Ce n'est peut-être pas évident pour vous, alerte Karl, mais si vous regardez bien cette forêt primaire en face de nous, vous pouvez voir qu'il y a une énorme quantité d'arbres gris, plus clairs. Ce sont des arbres secs. Les cultivateurs de café enlèvent une partie de leur écorce ce qui provoque un dessèchement progressif de l'arbre. Ils injectent également parfois des produits à l'intérieur, type glyphosate. C'est très agressif."

Au milieu de la forêt, certains arbres secs, plus clairs, apparaissent
Au milieu de la forêt, certains arbres secs, plus clairs, apparaissent
© Radio France - Julie Pietri

Karl s'interrompt quelques instants pour saluer un cultivateur voisin, qui travaille, lui, "dans les règles" : Norman. "Il a été témoin de ce qui s'est passé ici, question biodiversité, il peut te raconter." Norman ne veut pas trop en dire. Les pratiques illégales de son voisin ont été signalées. Une procédure judiciaire est en cours. Mais il tient à préciser que depuis les plaintes,  "il ne se passe rien". "C'est dommage pour cette montagne. Il y avait tant d’animaux ici, des tapirs, des singes : aujourd'hui, on n'en voit plus aucun." Un constat douloureux pour cet homme qui observe depuis chez lui le changement, jour après jour_: "Ici avant, c'était un paradis." _

"Moi, je ne voulais pas revenir ici", ajoute Paola Castro Solis, de l'ONG Quercus, visiblement émue. "Il y a beaucoup de gens que ce changement impressionne. Moi, il me donne envie de pleurer. En huit ans, la différence est énorme."

Paola, du mouvement écologiste Quercus
Paola, du mouvement écologiste Quercus
© Radio France - Julie Pietri

En redescendant de la montagne, Paola tente de sonner à la porte d’un grand producteur local de café, "le plus grand déforesteur de Dota", dit-elle, pour lui demander des explications sur ses activités en altitude. Le portail est immense, équipé d'une caméra de vidéosurveillance. Il y a du monde à l’intérieur, mais personne ne répondra.

Deuxième tentative d’explications. Coup de fil à Mary Marin, maire de Dota qui fait figure d'autorité locale. "Il n’y a pas autorisation pour planter du café que si la loi sur l’utilisation des sols le permet, précise-t-elle. C'est-à-dire que si cette terre est un pâturage, vous pouvez planter du café. Si c’est une zone de forêt, de montagne, évidement, vous n’avez pas le droit de le faire". Interpellée sur ce que ce qui se passe tout près d'ici, elle élude : "Là comme ça, je ne peux pas déterminer si les plantations de café que vous avez vues étaient avant des montagnes ou des pâturages." "Nous savons qu’il y a beaucoup de personnes qui cultivent le café de manière responsable, poursuit-elle,  Il y en a très peu qui ont provoqué des problèmes ou des désastres. Mais nous savons effectivement qui sont ces personnes, il y a cinq dans le canton de Dota, et elles sont en plein dans un processus judiciaire en ce moment."

À peine le téléphone raccroché, Osvaldo Duran soupire :

"Elle interprète la loi comme ça lui plaît

"Il y a eu deux décisions d’une juridiction supérieure du Costa Rica. Une du 31 aout 2018, qui lui donnait deux mois pour faire appliquer une sentence : arracher le café planté illégalement. L’autre résolution, du 16 juin 2020, lui donnait 10 jours seulement. La municipalité de Dota l’a-t-elle fait ? Non". Quand on lui en demande la raison, Osvaldo analyse froidement : "L’ensemble de la région de Los Santos où nous nous trouvons, apporte 43, 9% de la production totale de café du pays, c'est-à-dire beaucoup de richesses. Le café reste le troisième produit d’exportation du Costa Rica, après les bananes et les ananas." Des cultures qui requièrent d’énormes quantités de terre. "Un pays ne peut pas se permettre le luxe d’avoir un discours vert, de dire qu’il prend soin de la nature, alors qu’en réalité, les produits que nous proposons sur le marché international empiètent presque tous sur les forêts. Et nous parlons là de milliers d’hectares. Mais les autorités ne veulent pas reconnaître que c’est un problème qui doit être stoppé."

Des arbres coupés dans un secteur où ils sont censés être protégés
Des arbres coupés dans un secteur où ils sont censés être protégés
© Radio France - Julie Pietri

"C'est important que vous, qui venez d’un pays consommateur de café, ajoute Karl Quintanilla Retana, vous qui nous honorez en sélectionnant le café du Costa RicaCe serait formidable que vous vous demandiez : « D’où vient ce café » ? Et si c’est un café d’altitude, produit au Costa Rica, ouvrez l’œil, faites attention. Parce qu’une grande partie de ce café a été très probablement produite dans des endroits qui étaient des forêts il y a seulement 20 ans."

L'électricité est "verte" à quasi 100% au Costa Rica

Si le Costa Rica se présente comme un pays "vert" sur la scène internationale, c’est aussi parce que presque toute son électricité est produite grâce à des énergies renouvelables. Hydroélectricité, géothermie, éoliennes : autant de technologies qui nécessitent du foncier et qui lorgnent, aussi parfois, sur les zones protégées. Les promoteurs d’une énergie dite propre, se heurtent régulièrement aux défenseurs de l’environnement. C'est ce dont témoigne par exemple, Olger Robles Solano, responsable de la maintenance sur le Parc Eolien de Los Santos, propriété de la Coopérative Coopesantos : "Le Costa Rica s’est toujours présenté comme un pays respectueux de l’environnement. Pour moi, c’est une source de fierté de pouvoir exercer ce métier, en sachant que je travaille aussi pour le futur de mes enfants."

Jeffrey Luna et Olger Robles Solano travaillent pour la coopérative Coopesantos
Jeffrey Luna et Olger Robles Solano travaillent pour la coopérative Coopesantos
© Radio France - Julie Pietri

Avec son collègue Jeffrey Luna, il est fier de préciser que les éoliennes du site permettent d'économiser 11 000 à 14 000 tonnes de CO2 par an, en comparaison avec une énergie fossile. Mais il estime que la législation du Costa Rica est un frein au développement : "L'ICE, institut d’électricité du Costa Rica an, par exemple, eu la volonté de développer une nouvelle centrale géothermique à proximité d'un volcan. Mais ici, toutes les zones des volcans sont classées « parcs nationaux » !

Il est presque impossible, à cause de la législation sur l’environnement, de développer l’exploitation de cette énergie.

Certains projets ne peuvent pas être lancés, faute de permis... alors que ce sont des projets nécessaires. À un moment donné, quand nous aurons des besoins de croissance qui le justifieront, il faudra ouvrir les parcs nationaux. Mais il faudra bien sûr que ce soit contrôlé."

La question du manque de moyens

Protection de la nature mais appétit économique. Comment concilier les deux ? C’est travaillé par cette question, que le Costa Rica va se présenter, comme tant d’autres pays, à Glasgow, pour la COP 26. Dans l’équipe des négociateurs, le Français Pascal Girot, directeur de l’École de géographie de l’Université du Costa Rica : "Cela va faire la 13ème COP à laquelle je participe. Le Costa Rica a toujours été ambitieux au niveau de ses positions de négociation en changement climatique. Il faut se rappeler qu'en 2009-2010, le Costa Rica avait annoncé son objectif d'être Carbone Neutre en 2021. Bon, on est en 2021 et on n'est pas Carbone Neutre mais quand même !"

L'ambition, ça sert à avancer : c'est un peu comme les utopies, ça nous aide à aller de l'avant.

"Actuellement, c'est compliqué. Il y a une énorme inertie dans le système actuel, analyse cet expert, qui a fait sa vie au Costa Rica. Nous sommes dans une conjoncture très difficilement politiquement. La crise du Covid a eu un impact énorme dans le pays. Les choix énergétiques vont être absolument cruciaux". Il explique comment la question de l'exploration pétrolière est relancée dans le pays. De quoi écorner l'image de marque du Costa Rica. "On entend certains secteurs qui insistent alors que l'on a un moratoire depuis 2005 : ni exploration, ni exploitation pétrolière au Costa Rica. Je pense que ça ne devrait pas changer, ceci dit, nous sommes vraiment dans une période difficile." À Glasgow, le gros morceau, ajoute-t-il, ce sera la question du financement climatique : "Est ce que les pays développés vont financer, comme l'indiquait l'accord de Paris, les 100 milliards par an d'investissement en matière climatique ?  On en est loin". Et le Covid risque de ne pas arranger les choses. "Beaucoup des ambitions du Costa Rica en matière de développement durable et de changement climatique dépendaient des financements internationaux. Pour faire face à la crise climatique, le manque de moyens est un thème important.. qui va avoir un poids prépondérant à Glasgow."

Invité de l'émission : l'écologue Ghislain Vieilledent, spécialiste des forêts tropicales, chercheur au Cirad (Centre international de recherche agronomique pour le développement).

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