Au rapport

Calais : une étude pointe les risques d'un dispositif humanitaire «trop généreux»

Le document remis à Bernard Cazeneuve esquisse des pistes pour améliorer la situation dans la «jungle», où vivent près de 2000 migrants dans des conditions épouvantables.
par Sylvain Mouillard
publié le 1er juillet 2015 à 21h25

«Le pas d'après» : l'intitulé du rapport remis à Bernard Cazeneuve ce mercredi sur la situation des migrants dans le Calaisis est ambitieux. Résultat d'un travail de dix mois, le document est censé permettre au ministre de l'Intérieur de disposer des outils pour évaluer les politiques déjà menées autour de la «jungle» de Calais, mais aussi de «proposer des solutions réalistes sur les plans budgétaire, juridique et européen». Un défi, tant les débats autour de la situation migratoire en Méditerranée sont parfois tronqués et instrumentalisés.

Les deux auteurs du rapport, Jean Aribaud et Jérôme Vignon, commencent par décrire la situation à Calais, où vivent actuellement 2500 à 3000 migrants dans des conditions déplorables. «Ce sont, pour la plupart, des jeunes hommes de 20 à 35 ans, souvent pourvus de diplômes ou exerçant des professions d'entrepreneurs et de commerçants», écrivent l'ancien préfet de la région Nord-Pas-de-Calais et le président de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale. «Il semble que le projet de se rendre au Royaume-Uni n'ait été que rarement conçu au départ», poursuivent-ils.

Ce qui leur fait dire que «leurs décisions sont réversibles et que des alternatives crédibles au passage au Royaume-Uni conservent tout leur sens». Mais les auteurs ne s'engagent pas pour autant dans un plaidoyer pour une politique plus généreuse : «La garantie des besoins vitaux ne doit pas se contenter d'accompagner ce flux [migratoire], au risque de l'amplifier.» Quelques lignes plus loin, ils évoquent même la «question sensible de "l'appel d'air" […] que pourrait créer sur Calais un dispositif humanitaire trop généreux consistant en une mise à l'abri, fût-elle précaire». Et de conclure que «l'accès à un toit, même très sommaire, est un point fondamental». Cependant il ne saurait être, selon les auteurs, un «préalable» mais «un objectif au terme d'un processus maîtrisé. Aujourd'hui, les conditions n'en sont pas réunies».

Une illusoire coopération européenne ?

Jean Aribaud et Jérôme Vignon déclinent ensuite 17 propositions, dont ils disent avoir vérifié «l'opérationnalité». Premier axe de leur travail, une meilleure coopération européenne, notamment avec l'Italie, selon un principe de «solidarité» et de «rigueur». En substance, la France pourrait prendre à sa charge des demandeurs d'asile calaisiens pourtant susceptibles d'être réadmis en Italie selon le règlement de Dublin. En contrepartie, charge aux autorités italiennes de s'engager à raccompagner davantage de migrants dans leur pays d'origine.

Pas évident que ce genre de collaboration se mette en place de sitôt après le coup de sang de Matteo Renzi contre le manque de solidarité européenne. Les deux hommes proposent aussi un «partage des responsabilités dans l'instruction des demandes d'asile» entre Paris et Londres. Une proposition qui n'a aucune chance d'aboutir, le gouvernement de David Cameron ayant totalement abandonné le dossier.

Le rapport s'attache ensuite à changer l'existant à Calais, en évoquant «l'amélioration globale du centre Jules-Ferry […], lieu de premier accueil» dans la jungle, la promotion de «l'interprétation», de la «médiation culturelle» et l'instauration d'une «nouvelle gouvernance». Seule avancée notable, la création d'un «centre de mise à l'abri» à une centaine de kilomètres de Calais, suffisamment loin en tout cas pour éloigner les réseaux de passeurs. Le lieu d'une capacité de 200 places devra «créer les conditions psychiques et physiques» aux migrants souhaitant demander l'asile.

Des créneaux de traversée pour les poids lourds à l’étude

Le volet répressif du plan comporte aussi quelques mesures inédites, qui ne devraient pas manquer de susciter les critiques des associations. L'une propose le placement «systématique» en centre de rétention «en vue d'un éloignement» de toute personne récidivant dans sa tentative de rejoindre l'Angleterre clandestinement, si celle-ci avait auparavant été orientée vers le centre Jules-Ferry. En revanche, les auteurs préconisent de mettre fin à la situation des «ni-ni», c'est-à-dire des personnes ne pouvant accéder au statut de réfugié mais qui ne sont pas expulsables, en leur remettant un «titre de séjour temporaire».

Le rapport lance en outre l'idée de «réguler» le trafic des poids lourds pour empêcher les migrants de monter à bord et de traverser la Manche. Le principe : créer des aires de stationnement sécurisées bien en amont et mettre en place des créneaux de traversée. L'objectif : faire en sorte que les camions ne s'arrêtent plus à l'approche du port et du tunnel et qu'ainsi, aucun passager clandestin ne puisse y embarquer. Le risque : «Répartir le flux vers d'autres ports et d'autres pays.» Les auteurs en ont bien conscience, et semblent s'en accommoder.

Le rapport remis à Bernard Cazeneuve

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