Le blues de Jeanne

"Je ne veux pas aller dans un foyer. Je connais des amis en foyer, ce n'est pas de la rigolade. Je ne pourrais pas tenir là-bas." ©Getty - Praetorianphoto
"Je ne veux pas aller dans un foyer. Je connais des amis en foyer, ce n'est pas de la rigolade. Je ne pourrais pas tenir là-bas." ©Getty - Praetorianphoto
"Je ne veux pas aller dans un foyer. Je connais des amis en foyer, ce n'est pas de la rigolade. Je ne pourrais pas tenir là-bas." ©Getty - Praetorianphoto
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A quinze ans, Jeanne ne mange pas à sa faim. Ses parents travaillent sans relâche, mais leurs efforts ne suffisent pas à subvenir aux besoins du foyer et rembourser leurs crédits. Alors Jeanne se prive, fait le ménage en rentrant du collège pour les soulager, et s'inquiète pour l'avenir.

Jeanne est en troisième. Au collège, personne ne soupçonne à quoi ressemble sa vie quand elle rentre chez elle. Ses professeurs constatent que sa moyenne baisse, ses camarades se moquent de ses habits et de son apparence. Pourtant, ils entendent son ventre "gargouiller", et certains lui proposent même des bonbons, voyant qu'elle est affamée. Jeanne ne mange pas à tous les repas, et quand elle mange, c’est soit du pain, soit des pâtes, soit “du riz nature avec du sel”. “Quand on a du jambon, on le déguste très lentement, même si c’est du jambon qui coûte 53 centimes”, raconte-t-elle, décrivant comment elle et sa famille font durer la moindre bouteille de jus d’orange. Souvent, le frigo est vide. Son frère accepte alors de “prêter” à ses parents vingt euros pour aller acheter quelques aliments, “mais il faut rembourser”.

On a tellement faim qu’on ne veut pas le dire. Ils vont nous traiter de pauvres. On n’a pas le droit à l’aide. On n’a le droit à rien.Jeanne

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Les parents de Jeanne travaillent tous les deux, sa mère de trois heures du matin à vingt-deux heures, son père de vingt heures à six heures du matin. Mais ils s'épuisent pour un salaire dérisoire : 150 euros par semaine pour sa mère, qui souffre de plus en plus d’un mal de dos chronique et se bat pour rembourser tant bien que mal ses crédits à la consommation. Elle raconte plus en détail ses difficultés dans cet épisode diffusé un mois après le premier témoignage de Jeanne :

Les Pieds sur terre
28 min

Face à la souffrance de ses parents, Jeanne veut être utile. Jusque là, elle travaillait dans un stand d’auto-tamponneuses pour ramener quarante euros à ses parents, histoire d’acheter un paquet de cigarettes, du lait et du sirop “pour cacher l’arrière goût de chlore dans l’eau du robinet”. Dès qu’elle rentre du collège, en plus de faire ses devoirs, elle s’occupe de laver le linge, de faire le repassage et la vaisselle. Epuisée, elle n'a pas le temps de regarder un film ou de se détendre comme tous les autres collégiens.

“On peut se retrouver dans la rue du jour au lendemain”

Ce qui terrifie Jeanne, c’est que sa famille n’ait plus de toit, ou de devoir aller en foyer et être séparée de ses parents. Depuis que la DDASS (Direction départementale des Affaires sanitaires et sociales) leur a rendu visite, elle a peur.

"Je ne veux pas aller dans un foyer. Je connais des amis en foyer, ce n'est pas de la rigolade. Je ne pourrais pas tenir là-bas. Je ne pourrais pas tenir là-bas.Jeanne

Ce dont rêve Jeanne, c'est d'aller un jour en vacances avec ses parents. Elle aimerait aussi pouvoir faire des études pour avoir un travail plus agréable, mais pour une collégienne qui vit à la campagne, tout est hors de portée : l’internat, les études en villes… "Je ne sais pas comment je vais faire."

Merci à Jeanne et à sa famille.

  • Reportage : Farida Taher
  • Réalisation : Annabelle Brouard et Emily Vallat

Cette émission a été diffusée pour la première fois le 4 avril 2012. Vous avez été nombreux à vous émouvoir, vous indigner, vous révolter à la suite de la diffusion de l’histoire de Jeanne et sa suite dans notre émission. Nous vous remercions chaleureusement de cet élan de soutien et de générosité.

Des nouvelles de Jeanne :

À peine majeure, Jeanne a quitté le foyer familial pour rejoindre celui de son compagnon en Bretagne. Elle a fait ses valises quinze jours avant les épreuves du bac pro, qu’elle n’a donc pas passées : « J’avais de bons résultats globalement, une moyenne de 14, j’aurais sûrement eu le bac, mais je ne supportais plus le lycée, j’étais trop mal à l’époque, dépressive de tout. » Sur les conseils de la mère de son amoureux, elle a commencé à voir un psy, qui lui a permis d’aller mieux et de prendre de la distance avec ses parents et avec la méchanceté des injustices des gens et de la vie.

Jeanne a aujourd'hui 26 ans, elle est maman d’une petite fille de deux ans. Elle est employée à temps partiel en CDI dans un supermarché discount, et son compagnon, avec qui elle est pacsée, est ambulancier. Ils louent un grand appartement confortable et envisagent de faire construire une maison.

Chanson de fin : "Little Girl Blue" de Nina Simone

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