Régulation du net : toujours les bonnes vieilles méthodes...

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Régulation du net : toujours les bonnes vieilles méthodes...

*À l’approche des élections, sous couvert de protection de l’enfance, un projet de décret du gouvernement étonne en détronant la co-régulation au profit d’une commission administrative verrouillée aux pouvoirs extensibles. L’APRIL, membre du conseil d’orientation du Forum des Droits sur Internet, visé par ce projet, dénonce un gigantesque retour en arrière sur le plan conceptuel, le gouvernement semblant confondre internet et minitel, co-régulation et ORTF.*

Le 31 janvier 2007, Philippe Bas, Ministre délégué à la Famille, a annoncé la création d’une Commission nationale de déontologie des services de communication au public en ligne, officiellement destinée à classer les contenus accessibles depuis les téléphones mobiles (« tous publics », « déconseillé aux moins de douze ans »...) [1]

Le 7 février, la Ligue ODEBI divulguait un projet de décret « créant la Commission nationale de déontologie des services de communication au public en ligne », visant un champ d’application bien plus large que la protection de l’enfance et les contenus des services multimédia mobiles.[2]

Le gouvernement souhaite créer une nouvelle structure administrative dont les membres seront nommés par le Premier ministre. Elle aura un rôle important dans la régulation de l’internet, puisqu’elle pourra attribuer ou retirer des labels (i.e. « label famille », « label
confiance », « label citoyen », « label presse »,...) aux fournisseurs d’accès, hébergeurs et éditeurs de services en ligne, en fonction de recommandations « déontologiques » qu’elle aura elle-même rédigées. Elle sera donc en mesure de faire peser de nouvelles
contraintes sur les acteurs de l’internet sans que ces contraintes n’aient été adoptées par voie législative ou réglementaire.

Malgré l’importance de la structure ainsi créée, aucune consultation large n’a eu lieu, notamment des associations d’utilisateurs ou des acteurs potentiellement sous la coupe de cette nouvelle Commission. Le conseil d’orientation du Forum des Droits sur Internet (FDI) n’a, par exemple, pas été consulté par le gouvernement sur ce projet qui
pourtant le concerne puisqu’il y est mentionné.

Au regard des enjeux, l’APRIL, membre du conseil d’orientation du FDI, qui a déjà exprimé publiquement des inquiétudes sur ce dossier [3], a décidé de rendre public ce jour l’avis qu’elle a communiqué à la présidente du FDI. [4]

L’APRIL, qui a voté le 13/10/2006 en Conseil d’orientation la recommandation du FDI relative à l’établissement d’une classification des contenus multimédia accessibles depuis les téléphones mobiles, en vue de protéger les mineurs, y critique le fait que le champ
d’intervention de la commission proposée par le gouvernement soit extensible bien au-delà de la stricte protection de l’enfance, qui est ici instrumentalisée, et que le projet vise in fine tous les acteurs français de l’internet.

Pour l’APRIL, ce projet « montre une volonté de reprise en main par l’État de la régulation de l’internet compte tenu notamment de la présence massive au sein de la nouvelle commission des représentants des pouvoirs publics dans cette commission, et du fait que les 14 personnalités qualifiées y siégeant sont désignées exclusivement par
arrêté du Premier ministre, pour cinq ans, transformant donc ces nominations en choix politique, et encore plus si elles ont lieu à proximité d’élections nationales. (...) Par ailleurs, les quatre ’’représentants’’ des professionnels et des usagers siégeant au sein
du comité des différends chargé d’interpréter les recommandations et
éventuellement de sanctionner les professionnels ne les respectant pas, seront nommés par un second arrêté, parmi les membres déjà nommés par le premier arrêté, ce qui constitue un deuxième filtre politique particulièrement sensible, puisque ce comité sera chargé, en quelque sorte, de rendre une forme de justice. »

Le projet de décret « doit être signé et publié dans les prochains jours », comme le mentionne le courriel envoyé par le FDI à ses membres vendredi pour leur demander de communiquer un avis le plus rapidement possible sur ce projet en prévision du prochain conseil d’orientation du FDI qui se tiendra mardi prochain.

L’APRIL appelle les candidats à la présidentielle 2007 ou leur entourage à prendre position publiquement sur ce projet.

Références
[1] Discours de Phillipe Bas : http://www.famille.gouv.fr/discours/33_070131.pdf
[2] Projet de décret : http://odebi.org/docs/Projetdecretcommissiondeontologie.pdf
[3] PCINpact : Déontologie : vers l’instauration d’un ordre moral du Net :
http://www.pcinpact.com/actu/news/34561-internet-filtrage-commission-deontologie-lab.htm
[4] Avis de l’APRIL : http://www.april.org/groupes/institutions/position-april-commission-deontologie.pdf

Complément
01net : Polémique autour de la régulation de l’Internet français
(http://www.01net.com/editorial/341006/legislation/polemique-autour-de-la-regulation-de-l-internet-francais).

Extrait :
« L’articulation de fonctionnement entre le FDI et cette nouvelle structure n’est pas claire », reconnaît une porte-parole du FDI, qui indique par ailleurs que le FDI n’a été consulté que de manière informelle sur la question (pour la rédaction du projet de décret, ndlr). Et si nouvelle structure il y a, il faudra veiller à ce que le fonctionnement de celle-ci n’ait pas pour conséquence de « fragiliser la concertation multi-acteurs » autour du Net, c’est-à-dire de remettre en cause les mécanismes de dialogue mis en place au fil des
ans par le FDI.
« On risque, bel et bien, d’assister à une reprise en main du dossier Internet par le monde politique et les cabinets ministériels », note un observateur proche du dossier. « En l’an 2000, Internet ne faisait clairement pas partie de la communication politique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Maintenant que les grands textes de loi sur la société de l’information sont entrés en vigueur, on peaufine les détails et, dans cette optique, le rôle du FDI pourrait ne plus être aussi central ».

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