Quelle place le commerce équitable occupe-t-il dans les politiques communautaires ?

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Quelle place le commerce équitable occupe-t-il dans les politiques communautaires ?

Le commerce équitable peut-il contribuer au développement durable ?

"Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie de m’avoir invité en ma qualité de commissaire au commerce.

Deux questions me sont posées : “Le commerce équitable contribue-t-il au développement
durable ?” et “Quelle place le commerce équitable occupe-t-il dans les politiques
communautaires ?” Je dirais que la seconde est légèrement prépondérante de par sa
nature. Je vais d’abord tenter de trouver leur lien. Il est évident que le commerce équitable
concourt largement au développement durable et comme le développement durable joue un
rôle central dans les politiques communautaires, le commerce équitable occupe, lui aussi,
une position importante. C’est d’ailleurs ce que prouvent les fonds que nous continuons à
investir dans les projets liés au commerce équitable : 16 millions d’euros en 1997, devenus
30 millions en 2002 pour 66 projets qui portent des noms évocateurs. En entendant
“Consommer autrement pour un monde meilleur” vous comprendrez l’intérêt que je porte
personnellement à une “économie bananière durable”. Et nous n’allons bien sûr pas cesser
d’offrir un soutien aux projets pertinents.

Néanmoins, mon engagement en faveur du commerce équitable va bien au-delà de mon
simple point de vue personnel. Le plan d’action arrêté lors du Sommet mondial pour le
développement durable contient des engagements politiques essentiels en faveur de
l’intégration des pays en développement dans l’économie mondiale. Il dit par exemple que
tous les pays devraient prendre des mesures en faveur de modes de consommation et de
production durables, les pays développés devant montrer l’exemple pour que tout le monde
bénéficie de ce processus. Tous ces principes se retrouvent aussi dans les objectifs de
l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui visent le relèvement des niveaux de vie, la
réalisation du plein emploi tout en permettant l’utilisation optimale des ressources mondiales
conformément à l’objectif de développement durable.”

Pour donner un suivi concret à tous ces engagements à haut niveau, la DG Commerce
s’efforce - vous avez peut-être déjà entendu parler de notre Programme d’action pour le
commerce durable - d’aider à promouvoir les échanges durables et équitables en mettant
l’accent sur l’environnement légal et commercial dans lequel les éléments constitutifs de la
valeur travaillent à accroître les connaissances du consommateur et sa confiance dans les
produits étiquetés “commerce durable”, “commerce équitable” ou “commerce éthique”.

L’UE a également pris l’engagement spécifique de favoriser le commerce équitable dans ses
rapports avec certains de ses partenaires commerciaux. L’UE s’est engagée dans le nouvel
accord de partenariat ACP-UE, signé à Cotonou le 23 juin 2000, à « soutenir une politique
durable et les réformes institutionnelles ainsi que les investissements nécessaires à un
accès équitable aux activités économiques et aux ressources productives » et notamment à « favoriser le commerce équitable ». La DG Commerce soutient également les travaux du
Centre de commerce durable et d’innovation (CCDI) qui s’occupe de développer des
marchés pour les produits respectueux du développement durable par une alliance entre le
consommateur et les groupes de la société civile.

Après moi, vous entendrez d’autres interventions sur le développement et l’emploi. Il faut
aussi que je vous parle de la communication récente de la Commission relative aux chaînes
de produits de base agricoles, qui se penche sur le rôle du commerce équitable et d’autres
systèmes et suggère d’autres orientations pour l’avenir, comme un centre d’échange
d’expériences, et la sensibilisation du public au commerce équitable.

Enfin, le commerce équitable fait également partie des considérations abordées par la
Commission dans son analyse du rapport récent de la Commission mondiale sur la
dimension sociale de la mondialisation. Nous allons publier une communication à ce sujet
en mai.

Ainsi, il est clair que le commerce équitable occupe une place honorable dans notre
engagement en faveur d’un développement durable. Mais je ne voudrais pas seulement
vous féliciter pour ce que vous faites et vous transmettre un message de soutien. Je dois
aussi vous définir les quelques limites à notre engagement en faveur du commerce
équitable.

En un sens, le commerce équitable a attiré l’attention sur un argument de pression dans la
politique étrangère : à savoir, le pouvoir des consommateurs qui peut, par leurs décisions en
matière d’achats, influencer la conjoncture des pays tiers. Une marque ou une réputation
mondiale se font et se défont en fonction de ce que le consommateur entend dire ; et même
la conjoncture de pays qui sont pourtant situés très loin de celui des consommateurs, peut
aussi être touchée. Et puis il y a évidemment aussi toutes les limites qui sont mises au
pouvoir du consommateur lorsque la chaîne de l’offre est opaque. Ainsi, d’une part, le
consommateur est roi, alors que, d’autre part, c’est un roi sans pouvoir tant qu’il n’est pas
informé.

La mobilisation du consommateur est donc une affaire privée et spontanée qui nous impose,
en tant qu’autorités publiques, certaines limites. Notre engagement en faveur du commerce
équitable est d’autant plus légitime qu’il répond à l’intérêt du public qui veut des précisions et
la transparence sur l’origine du produit. Pour le reste, nous devons veiller à ne pas dépasser
l’interaction habituelle entre le Traité et l’accord international. Si nous allons trop loin dans
l’instrumentalisation du commerce équitable pour répondre à nos objectifs concernant le
développement durable dans la politique internationale, nous risquons d’enfreindre les règles
internationales ou de favoriser plus particulièrement un cercle d’acteurs privés. Pour ne pas
en arriver là, il nous faut prendre en compte la concurrence interne.

Le commerce équitable n’est pas le seul protagoniste sur ce terrain-là. De nombreuses
sociétés et organisations du secteur privé élaborent aujourd’hui leurs propres codes de
conduite en matière d’emploi, de droits de l’homme et d’environnement pour mettre leur
responsabilité sociale en oeuvre. Ces codes peuvent dans certains cas être moins ambitieux
mais donner des résultats meilleurs que les produits du commerce équitable par rapport à
certains critères de référence spécifiques. Quelle que soit leur nature, ils peuvent, eux aussi,
augmenter le nombre de producteurs qui bénéficient d’une amélioration des conditions.

L’intégration de pratiques liées à la production durable dans la façon de faire d’une
entreprise n’est en principe pas une idée à laquelle s’oppose le mouvement en faveur du
commerce équitable. L’imitation est la forme la plus sincère de la flatterie et les entreprises
s’intéressent en ce qui concerne leur responsabilité sociale aux résultats obtenus par le commerce équitable. Un autre intervenant viendra vous parler des tables rondes du forum
multilatéral qu’organise la Commission. Je mentionnerai juste en passant qu’au cours de la
table ronde sur les problèmes de développement, on a pu voir combien le mouvement en
faveur du commerce équitable s’est forgé une bonne expérience en ce qui concerne
l’instauration de relations transparentes et durables entre les consommateurs du Nord et les
fournisseurs du Sud. Ainsi, commerce équitable et responsabilité sociale des entreprises ne
sont pas diamétralement opposés même si, je le sais, les défenseurs d’une option ont des
doutes sur ce que réalisent les défenseurs de l’autre option et vice-versa. Le commerce
équitable se méfie d’une dilution dangereuse des principes et des pratiques qu’il représente.
« Méfiez-vous des imitations bon marché ». Les défenseurs de la responsabilité sociale des
entreprises font valoir qu’une petite amélioration du marché de masse peut davantage
représenter un changement dans la vie de nombre de producteurs que tout autre
changement qui se produirait sur un marché plus étroit.

Mais alors que le décompte des effectifs peut nous apprendre beaucoup de choses, surtout
en termes d’intérêt général, il ne capture pas toujours les aspects dynamiques d’une
promotion du développement durable qui se traduit par une modification des pratiques et des
attentes. Les caractéristiques particulières du commerce équitable lui ont permis d’avoir une
influence disproportionnée sur l’ensemble du marché et de sensibiliser le consommateur et
même le producteur. Les produits du commerce équitable sont évidemment de plus en plus
visibles sur les marchés grand public mais c’est peut-être plus spécialement sous la pression
des attentes, tant du producteur que du consommateur, que le commerce équitable a eu son
plus grand impact.

Analyser comment fonctionnent les différentes initiatives n’est pas chose facile : certains
préconisent un audit indépendant, d’autres sont contre, certains associent les ONG ou les
acteurs locaux au choix des critères et certains ne se réfèrent qu’aux normes internationales.
Certains estiment que le prix est un problème de marché, d’autres insistent sur l’importance
de relations à long terme et sur une rémunération qui ne fluctue pas au gré des cycles des
matières premières, mais qui puisse couvrir les besoins humains fondamentaux dans une
société donnée. Certains insistent sur un respect strict des conventions concernant l’emploi,
d’autres accordent plus d’importance aux progrès accomplis, tel un niveau acceptable de
scolarisation des enfants. Certains enfin sont plus que d’autres concernés par les problèmes
environnementaux. Il existe dans ce domaine toute une série de pratiques dont le commerce
équitable fait partie. Mais ce n’est pas parce qu’un effort ou un système donné n’apporte pas
toutes les réponses au développement durable que sa contribution n’est pas réelle. Il est
donc impossible à la Commission de déclarer à un acteur particulier que « cette option-là est
la seule valable, c’est à elle seulement que nous accorderons un statut et une aide.”

Il n’y a donc aucune solution facile, mais nous tentons toujours de voir dans quelle mesure
l’intervention de la Commission peut faire avancer les choses. Le développement durable,
fruit d’une production et d’une consommation durables, ne peut s’entendre sans une bonne
communication et une bonne compréhension du problème. Mes services réfléchissent donc,
en concertation avec d’autres services de la Commission et avec l’aide régulière de tous les
acteurs concernés, à la question de savoir dans quelle mesure il conviendrait qu’elle
participe à l’élaboration d’orientations en ce qui concerne les labels sociaux et le commerce
équitable. Je suppose que si nous parvenons à progresser dans ce domaine de réels effets
bénéfiques se feront sentir.

Premièrement, au niveau d’un vocabulaire commun qui permettra à des consommateurs
toujours plus nombreux de comprendre réellement le choix qu’ils ou elles font en donnant la
préférence à un produit plutôt qu’à un autre.

Deuxièmement, en facilitant pour les autorités publiques le choix des achats suivant les
tendances des consommateurs.

Troisièmement, un concept bien défini fera que nous n’hésiterons pas à introduire dans notre
politique commerciale bilatérale des mesures d’incitation au niveau du marché. Si cela ne fait
pas partie de notre politique actuelle, c’est simplement pour une question de vocabulaire qui
n’est ni défini ni convenu.

J’espère en outre que l’on va pouvoir prendre de plus en plus en compte ces critères dans le
système des incitations et des contraintes que représentent les règles commerciales
internationales. Une attitude de non-discrimination des États face à des marchandises qui
sont apparemment équivalentes restera toujours au centre du débat et la réaction des pays
en développement face à la volonté d’aller au-delà de la situation actuelle avec ses
systèmes volontaires et privés peut toujours être problématique, mais nous devons au moins
tenter de faire avancer les choses lorsque nous le pouvons. Je suis convaincu qu’en
continuant à travailler en liaison étroite avec le monde du commerce équitable, nous
pourrons tirer le meilleur parti de toutes les possibilités que nous avons devant nous.

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