Projet de loi pénitentiaire : une réforme sans réforme ?

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Projet de loi pénitentiaire : une réforme sans réforme ?

Depuis quelques années, la question des prisons est devenue un sujet politique sensible. Alors
que les règles pénitentiaires européennes consacrent les droits fondamentaux des personnes
détenues, la France devait rattraper son retard au regard de ces normes nouvelles.
Mais alors que chaque Gouvernement a voulu s’approprier ce sujet en multipliant les interventions législatives et que plusieurs
projets de loi pénitentiaire ont été déposés, aucun d’entre eux n’a encore abouti à la promulgation d’un texte.

Le monde carcéral attendait donc une clarification du droit applicable en prison. C’est dans ce contexte que le 28 juillet 2008,
la Garde des Sceaux a présenté en Conseil des Ministres un nouveau projet de loi. Bien qu’attendu et réclamé par les professionnels,
ce texte apparaît décevant à bien des égards. Il ne semble en effet garantir ni lisibilité satisfaisante du droit des prisons,
ni effectivité des droits des personnes détenues.
Un projet de loi décevant

L’un des objectifs du projet de loi est de remettre de l’ordre dans notre système normatif.

Aujourd’hui, les règles pénitentiaires
sont majoritairement traitées par voie réglementaire, c’est-à-dire par décision du Gouvernement, alors que certaines d’entre
elles relèvent de la compétence de la loi et devraient être votées par le Parlement.

À la lecture du projet de loi, on constate cependant qu’il est encore procédé à de nombreux renvois aux décrets. À titre
d’exemple, le régime disciplinaire en détention sera encore massivement régi par voie réglementaire, l’article 53 du projet de
loi se contentant de poser trois principes généraux : classement des fautes selon leur nature et leur gravité, quantum maximum
des sanctions d’encellulement disciplinaire et droit à l’assistance d’un avocat devant la commission de discipline.

Le Conseil Constitutionnel considère que les règles du droit pénal doivent également être appliquées au pouvoir de sanction
exercé par l’administration. Parmi elles : le principe de légalité des délits et des peines. Celui-ci préconise qu’on ne peut être
condamné à une sanction et pour une infraction que si l’une et l’autre sont prévues par un texte législatif. L’application de ce
principe permet d’éviter de laisser une trop grande latitude à l’administration qui ne peut punir que conformément à un texte
voté par le Parlement.

De même, ce nouveau texte n’apportera pas de changement dans la confusion des règles applicables aux personnes incarcérées,
qui sont actuellement éparpillées au sein du code de procédure pénale. Il risque au demeurant de les disperser davantage,
puisque le Gouvernement a « choisi de ne pas alourdir (le code de procédure pénale) avec des dispositions relatives aux
droits des détenus ». Le titre Ier du projet de loi, relatif au service public pénitentiaire et à la condition de la personne détenue,
n’y sera donc pas inséré.

Cette décision aura pour conséquence d’éparpiller un peu plus les règles applicables en prison. Elle laisse également sousentendre
la faible importance reconnue aux droits des personnes détenues.
Une importance toute relative accordée aux droits des personnes détenues

Alors que, conformément aux règles pénitentiaires européennes, la loi s’était donné pour objectif de « consacrer le principe
selon lequel la personne détenue conserve le bénéfice de ses droits », l’article 10 du projet ne prévoyait que les restrictions
dont pouvaient faire l’objet les droits des détenus. Grâce à un amendement du Sénat, l’affirmation du principe devrait être réintroduite
et l’administration pénitentiaire devrait avoir l’obligation de garantir « à tout détenu le respect des droits fondamentaux
inhérents à la personne », sans toutefois que le texte apporte une reconnaissance effective et concrète des droits de détenus.

Le projet de loi a ainsi gardé le silence sur l’absence de recours dont disposent les détenus contre certaines décisions prises à leur
encontre. Jusqu’au milieu des années 1990, les décisions de l’administration pénitentiaire étaient par nature insusceptibles de recours,
privant ainsi le détenu d’une possibilité de contrôle de ces décisions par le juge.

Peu à peu, le juge administratif a accepté de les examiner en prenant en considération la nature et l’importance des conséquences
qu’elles entraînent sur la situation personnelle des détenus. A ce jour cependant, certaines décisions ne sont toujours pas susceptibles
de recours. Laisser au juge administratif le soin de décider des possibilités de recours place le détenu face à une insécurité
juridique. Cet état de fait ne garantissant pas le droit au recours effectif consacré par la Convention Européenne des Droits de
l’Homme, il semblait essentiel que la loi pénitentiaire comble cette lacune juridique. Pourtant, aucune disposition en ce sens n’a été
soumise au Parlement.

Des interrogations sur l’accès au droit en prison

Pourtant, la personne détenue doit pouvoir être informée de ses droits et de ses obligations, être accompagnée dans ses démarches
juridiques, ou être orientée vers les structures qui l’aideront à faire valoir ses droits. La commission d’enquête du Parlement
demandait d’ailleurs, dès 2000, que soit facilité l’accès au droit en prison.

Cependant, alors que l’article 7 de l’avant-projet de loi pénitentiaire consacrait l’aide à l’accès au droit des personnes détenues, le
projet de loi soumis au Parlement reste silencieux à ce sujet. La Commission
Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) a donc recommandé
que soit réintroduit « le droit de toute personne détenue de bénéficier de consultation
et d’assistance juridiques en vue notamment de l’informer de ses droits et
de l’aider à les faire valoir ». Elle préconise également le renforcement des
« structures d’accès au droit dans les établissements pénitentiaires existants ou
futurs ».

Par conséquent, le projet de loi pénitentiaire déçoit. On attendait un texte généraliste
sur le droit des prisons, garantissant une véritable reconnaissance du
statut juridique du détenu et une clarification des règles qui lui sont applicables.
Mais le texte proposé n’apporte pas de réelles modifications sur ces points.
On est donc en droit de se poser la question de la pertinence d’une loi pénitentiaire
qui ne réforme pas réellement le droit des prisons alors que ce texte, déjà
partiellement amendé par les sénateurs, sera soumis au débat du Sénat dès le
courant du mois de mars.


- 1 Décision du Conseil Constitutionnel n°89-260 du 28 juillet 1989
- 2 Réponse du Gouvernement à l’avis de la CNCDH du 6 novembre 2008 sur le projet de loi pénitentiaire, p. 1
- 3 Réponse du Gouvernement à l’avis de la CNCDH du 6 novembre 2008 sur le projet de loi pénitentiaire, p. 1
- 4 Article 10 du projet de loi pénitentiaire : « Les droits des détenus ne peuvent faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à
leur détention, du maintien de a sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention des infractions et de la protection des intérêts des victimes. (…) »
- 5 A titre d’exemple : Conseil d’Etat, Assemblée, 17 février 1995, Hardouin et Marie (sur le régime disciplinaire et le placement à l’isolement) ; Conseil d’Etat, Assemblée
du Contentieux, 14 décembre 2007, n°290730, M. Boussaour
- 6 Rapport de commission d’enquête n°449 (1999-2000) de Messieurs Hyest et Cabanel sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en
France (tome 1), déposé le 29 juin 2000
- 7 Recommandation n°38 de l’avis de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme sur le projet de loi pénitentiaire

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