Forum de Bobigny

«Montreuil, ce n’est plus le bout du monde»

Événementsdossier
Avec ses allures de village, le Bas-Montreuil attire les Parisiens. Photographes, créateurs ou architectes en quête de loyers abordables, ils ont modelé l’ancienne banlieue rouge, la faisant bohême. Mais victime de ses charmes, Montreuil s’embourgeoise. Et les prix gonflent.
par Lucie Bouzigues et Maud Damas, étudiantes en journalisme à l'IPJ-Dauphine
publié le 22 février 2013 à 18h49
Elodie vient d’acheter un trois pièces à Montreuil à 500 000 euros, «plus quelques travaux». «A Paris, pour la même surface, j’aurais dû dépenser 200 000 € de plus», estime-t-elle. C’est le prix de l’immobilier qui a poussé cette jeune femme à s’installer dans cette ville à l’est de Paris.

Mais pas seulement. «On m'a dit que c'était une ville en train de fleurir. Avant j'habitais le XIXe arrondissement de Paris, le côté populaire ne me fait pas peur», précise la jeune maman. «Ici, j'ai trouvé mon compte. J'ai à la fois le côté cosmopolite de mon ancien quartier et je suis proche de Paris.» Chef de projet marketing, Élodie s'est installée dans le Bas-Montreuil il y a trois mois. Et elle n'est pas la seule.

La gentrification s’attaque aux périphéries

Prix de l’immobilier et proximité avec la capitale, Montreuil séduit les Parisiens depuis plusieurs décennies. Dans les années 70, la crise industrielle frappe la ville de plein fouet. Et laisse derrière elle des locaux désaffectés et un parc immobilier en mauvais état. Dix ans plus tard, après la flambée des prix de l’immobilier, les Parisiens se replient vers la petite couronne.

«Il s'agit d'un public particulier», explique Anaïs Collet, sociologue spécialiste de Montreuil. «Ce sont des gens qui cherchent à la fois un logement et un lieu de travail.» Artisans, photographes, ou architectes posent leurs valises à Montreuil. Ces nouveaux arrivants transforment le visage de la ville, jusqu'alors assimilée aux problèmes des banlieues. Montreuil s'est forgé une nouvelle image. Celle d'une ville de bohèmes aux allures de Berlin Est.

«La ville a réussi à se centraliser», note Anaïs Collet. «Aujourd’hui, venir à Montreuil n’a plus rien d’exotique. Ce n’est plus le bout du monde. Avec la proximité du métro, on évite le côté banlieusard.» Ancienne banlieue communiste à la population ouvrière, la ville compte aujourd’hui plus de 20 % de cadres et professions intellectuelles. Symptôme de ce changement : la mairie, remportée par Europe Ecologie Les Verts aux dernières élections municipales.

Le prix du mètre carré explose

Depuis une dizaine d’années, la demande grimpe. Et prix du mètre carré aussi. En cinq ans, les prix ont augmenté de 36 %, d’après le baromètre des notaires d’Ile-de-France. Aujourd’hui, il faut compter 4910 euros le mètre carré.

«En 2004 déjà, quand on a dépassé la barre des 3500 euros, on s'est dit aïe, ça grimpe trop vite», indique Charles Delepine, directeur commercial de Vesta Immobilier à Montreuil. Il vient de signer un compromis de vente avec un pilote de chasse : «A Montreuil, c'est du jamais vu», s'étonne-t-il.

Il y a encore quelques années, la ville était exclue du marché de l’achat. Aujourd’hui, la plupart des nouveaux venus sont médecins ou avocats, avec des salaires de 10 000 euros par mois. Une hausse phénoménale qui chasse les classes moyennes hors de Montreuil.

«Le marché privé ne leur est pas accessible. Il faudrait rembourser 2500 euros par mois pour acheter. Sans apport, c'est impossible» assure Charles Delepine. Pour ces classes moyennes, la rétrogradation est violente. «Psychologiquement c'est difficile. Ils ne peuvent plus acheter que dans des HLM.»

Marie-Sandrine, la quarantaine, vit à Montreuil depuis l'âge de sept ans. Elle voit son loyer augmenter d'années en années. Pourtant elle se réjouit des changements. «Beaucoup d'artistes sont venus s'installer. C'est une bonne chose.» Ce matin, d'ailleurs, elle emmène sa fille voir une représentation de théâtre.

Montreuil et ses artistes, une longue histoire d’amour

«C'est une des villes les plus créatives et les plus militantes du pays», s'exclame Nicolas Bard. Avec sa femme, il a crée le label «Made in Montreuil». Une société coopérative qui héberge les professionnels de la création moyennant un abonnement. Photographe, réalisateurs, illustrateurs ou architectes, les artistes locaux viennent profiter des ateliers et machines mis à disposition.

L’un des ateliers de Made In Montreuil. Photo Lucie Bouzigues 

Montreuil et les artistes, c'est d'abord une longue histoire d'amour. C'est ici que les Frères Pathé ont installé leur premier studio de cinéma, et que Georges Méliès a tourné tous ses films. «Fin XIXe, l'industrie cinématographique a attiré des maquilleurs, des costumiers et des décorateurs. Les artistes sont là depuis un moment déjà», raconte Nicolas Bard.

Il se dit «accro à Montreuil». Et pour rien au monde il ne partirait, malgré la hausse des prix : «On est encore loin des prix de Paris. Et puis là bas, ils ont des studios à l'ombre. Nous ici on a des jardins au soleil !»

Le défi : désenclaver le Haut-Montreuil

Alexandre, 25 ans et étudiant, est né à Montreuil. Il estime que les transformations touchent avant tout le Bas-Montreuil. Le quartier proche de la ligne de métro, avec ses maisonnettes et ses jardins. Celui qui attire les «bobos». Mais il existe un autre visage de Montreuil. De l’autre côté de l’autoroute inachevée qui traverse la ville, on entre dans le Haut-Montreuil, avec ses barres HLM.

Les nouveaux habitants se réapproprient l’espace. Ici, au coin d’une rue, le potager de l'école maternelle. Photo Lucie Bouzigues

Entre les deux quartiers, les prix varient de 20 %. Charles Delepine, agent immobilier, constate : «Le Haut-Montreuil, c'est une clientèle locale, habituée aux galères de transports». Pour l'instant le quartier est le parent pauvre de la gentrification. Mais d'ici une vingtaine d'années, le centre de gravité de la ville se déplacera vers le Haut-Montreuil, prédit la mairie. «La fracture entre les deux Montreuil, c'est avant tout une question d'accès aux transports», explique Patrick Petitjean, conseiller municipal, et élu depuis 1995.

D’ailleurs, dans une dizaine d’année, le Haut-Montreuil sera relié à une ligne de tramway et au métro. La municipalité fait des efforts pour désenclaver le nord-est de la ville. Une école et un collège seront bientôt construits dans ces quartiers moins favorisés.

En attendant l'arrivée des transports, et pour anticiper la spéculation immobilière, la mairie tente de geler les prix et de réguler le marché. Les promoteurs sont soumis à un plafond quand ils livrent des logements. «C'est trop tard», déplore Charles Delepine. «Un plafond à 5300 euros le mètre carré, c'est déjà énorme.»

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus