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Le partage du pouvoir, un enjeu du renouveau démocratique

Alors que le Medef entend réduire comme peau de chagrin les capacités d’intervention des salariés, il existe une autre forme d’entrepreneuriat qui place au cœur la démocratie. Au sein des Scop, des mutuelles ou des associations, bénévoles, salariés, sociétaires partagent le pouvoir.

La fracture démocratique ne frappe pas que la vie politique. Le monde de l’entreprise est atteint des mêmes syndromes. Les pouvoirs se concentrent dans les mains des dirigeants, des actionnaires pour les multinationales, les salariés sont le plus souvent réduits au rôle de simples exécutants. Et le décalage s’accentue entre les discours tenus sur la priorité donnée au dialogue social et la réalité. Alors que les syndicats revendiquent de nouveaux droits démocratiques, comme celui, par exemple, d’accorder aux salariés un droit de regard sur la stratégie des entreprises, le gouvernement a entrepris d’accompagner les exigences du patronat. La loi Macron, qui sera examinée en Conseil des ministres le 10 décembre, réduit à néant les timides tentatives de démocratie en entreprise, du moins dans les entreprises dites « classiques ». Le « choc de simplification », demandé par le Medef, s’attaque en premier lieu aux procédures de consultations, aux normes sociales et environnementales dont pouvaient se revendiquer les associations citoyennes. Le pouvoir recherche l’affaiblissement des corps intermédiaires, des contre-pouvoirs. La fin programmée des élections prud’homales, la remise en cause des comités d’entreprise, le relèvement des seuils de représentation procèdent de cette volonté.

La démocratie, essence 
de l’économie sociale et solidaire

Mais il est un « entreprendre autrement » fondé sur d’autres valeurs que financières et d’autres principes. La démocratie est l’essence de l’économie sociale et solidaire et la différencie de toutes les autres formes d’entrepreneuriat même s’il n’est pas simple de la faire vivre au sein d’une ESS insérée dans une société en crise et soumise aux contraintes du temps. Dès l’origine, la démocratie est consubstantielle aux premières formes de l’économie sociale. Associations, coopératives, mutuelles se créent en résistance contre un monde libéral très profondément oligarchique, celui que l’on retrouve depuis la révolution libérale des années Thatcher-Reagan. Ces structures postulent l’égalité et la libre gestion, autour de citoyens rassemblés et assurant la conduite de leur projet collectif sur le principe une personne égale une voix. La démocratie en ESS, c’est (ou ce devrait être) la définition commune des objectifs et des moyens, la délibération sur la conduite de la structure, l’élection – et l’éventuelle révocation – des dirigeants. La responsabilité de chacun à l’égard de tous, et de tous à l’égard de chacun, et le contrôle régulier de l’activité permettent le mandat, voire l’émergence de « leaders » mais qui demeurent soumis à la sanction en cas de rupture du pacte social, et notamment d’un accaparement du pouvoir. Ce modèle démocratique domine toujours dans l’ESS. La société coopérative et participative (Scop), où les coopérateurs se trouvent à la fois salariés et dirigeants, apparaît comme la forme la plus aboutie de démocratie. De fait, cette structure rend le pouvoir de décisions aux salariés. « Au sein des entreprises de l’ESS, en impliquant les personnes, en assurant la cohésion de l’entreprise, la démocratie n’est pas une charge mais un avantage compétitif », explique Adelphe de Taxis du Poët, de la Confédération générale des Scop. Et pourtant, les « statuts ne sont pas vertus », rappelle Jean-Marc Borello, et les manquements sont légion aussi au sein de l’ESS. Des facteurs « objectifs » sont venus mettre la démocratie à l’épreuve. Du fait de la concurrence, beaucoup d’entreprises de l’ESS ont été amenées à se grouper, à se fédérer à l’échelle d’un territoire, voire nationalement. C’est le cas par exemple des mutuelles de santé dont le nombre recensé par l’autorité de contrôle prudentiel (ACP) est passé de 1 273 en 2005 à 880 fin 2009. Le choc est violent. Le cabinet de conseil Sia Partners, par exemple, prévoit qu’il n’en resterait qu’une centaine en 2018. Dans cette course à la taille, se posent la question de l’expression des adhérents des structures de base et celle de leur participation effective aux différents échelons de l’entreprise, rendues beaucoup plus difficiles. En évoluant, les entreprises de l’ESS ont vu leur activité s’élargir, se complexifier. Le recours à des salariés s’est développé, la constitution de technostructures aussi. L’équilibre entre élus des adhérents et spécialistes, experts professionnels entre en tension avec la démocratie, c’est-à-dire la prééminence des mutualistes, des coopérateurs, des adhérents associatifs dans la prise de décision. Dans certaines structures, comme les très grandes banques coopératives, les échelons locaux se sont trouvés confinés, et l’alliance d’élus devenant oligarques et de banquiers professionnels a largement perverti le pacte social initial et la démocratie. Dans d’autres établissements, les archétypes entrepreneuriaux prennent le pas sur le mouvement social originel. Trop de cadres dirigeants importent dans l’ESS le modèle libéral dominant dont ils sont issus, celui qui les a formés. Cet impératif de renouveau démocratique fut au cœur du débat lors du colloque sur l’avenir du mouvement mutualiste coorganisé par l’Humanité et la MGEN, le 1er décembre (1). Comme le souligne Jean Sammut, fondateur de Procial, société de conseil et formation en protection sociale : « Il ne peut y avoir d’avenir pour le mutualisme sans un renouveau démocratique de ses structures, ce qui demande un pacte renouvelé avec les adhérents et une prise en compte de la société tout entière. »

L’aspiration à remettre la main 
sur la propriété de l’entreprise

L’enjeu fait d’autant plus appel à l’imagination et au volontarisme que des contraintes légales nouvelles viennent peser sur la démocratie. C’est le cas par exemple de la transcription acceptée de directives européennes qui cherchent à délégitimer les dirigeants élus des adhérents des grandes structures, banques coopératives et mutuelles, en renforçant les pouvoirs des dirigeants salariés dotés de peaux d’ânes qui seraient le gage de leurs compétences. C’est le cas aussi de la défiance, de l’hostilité manifestées à l’égard des salariés dans le vote de la nouvelle majorité sénatoriale qui est revenu sur les articles 18 et 19 de la récente loi ESS qui voulaient favoriser la reprise par leurs salariés des entreprises en difficulté ou en déshérence. Ce contexte défavorable n’empêche pourtant pas l’émergence de nombreuses initiatives à contre-courant, qui portent une vitalité démocratique nouvelle. La création accélérée de Scop, les reprises d’entreprises et le développement des Scic (sociétés coopératives d’intérêt collectif) témoignent de l’aspiration des salariés à remettre la main sur la propriété de l’entreprise, à reprendre du pouvoir sur les décisions stratégiques. C’est vrai aussi dans le secteur agricole où beaucoup de producteurs s’extraient de l’étau de la fixation des prix par la grande distribution, font preuve d’innovations économiques et sociales, comme les Fermes de Figeac ou les Scic d’approvisionnement du secteur bio. C’est vrai avec le développement d’entreprises qui redonnent du sens à la notion de « biens communs », à la production d’énergie avec Enercoop, ou avec les associations qui animent la pratique et le développement des logiciels libres. Dans le domaine de l’habitat aussi, la pratique participative fait boule de neige. Ces manifestations de la démocratie économique et sociale sont portées par l’ESS.

(1) Le compte rendu du colloque sera l’objet du 4 pages des Rendez-vous de l’économie sociale et solidaire à paraître le mardi 6 janvier.

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