Edouard Martin est dans une position ambiguë. Icône syndicaliste du combat des ouvriers de la Lorraine contre Mittal, il est aujourd'hui tête de liste aux élections européennes pour le Parti socialiste. Un changement de statut radical pour celui qui avait déclaré en décembre 2012 que les ouvriers de Florange avaient maintenant « deux ennemis, le gouvernement et Mittal ». « Oui, j'ai eu des mots très durs. (...) Je ne regrette pas ce combat », explique M. Martin qui préfère retenir les avancées de la loi Florange, adoptée lundi 24 février, deux ans jour pour jour après la promesse de campagne de François Hollande, à l'époque beaucoup plus ambitieux.
Quel sentiment prédomine, alors que la loi est votée aujourd'hui ? De la déception ou de la fierté ?
Edouard Martin : Enfin, cette loi existe ! Nous attendions ce texte depuis un bon moment. C'est une belle façon de capitaliser l'action des travailleurs. Et je m'interdis de dire que notre combat n'a servi à rien. Je sais que c'est un sentiment partagé par nombre de mes camarades à Florange. Car dire cela de la politique et du syndicalisme, c'est faire le lit du Front national. Alors, on peut faire la fine bouche, dire qu'il n'y pas assez de sel ou de poivre, mais la loi a le mérite d'exister. Et, pendant vingt-quatre mois de conflit à Florange, je n'ai pas aperçu certains qui se permettent de commenter la loi aujourd'hui, même pas Nadine Morano, qui a pourtant été députée de Meurthe-et-Moselle.
Lire le post de blog : "Loi Florange" : retour sur 2 ans de promesses
Pourtant, la loi n'oblige plus les entrepreneurs à trouver un repreneur pour un site rentable, les PME sont exclues et des formations politiques comme le Front de gauche soulignent la faiblesse des amendes (28 500 euros par emploi supprimé)...
Bien sûr, je suis un peu déçu, car nous aurions aimé que l'obligation faite à un employeur de céder à un repreneur soit adoptée. Mais cette loi, même si elle n'est pas à la hauteur, va démontrer son utilité. Car nous sommes encore malheureusement en pleine crise et de nombreuses autres entreprises vont être en difficulté. Ce texte donne des opportunités aux travailleurs, qui seront associés à la recherche d'un nouvel entrepreneur, ils seront mieux informés et non mis devant le fait accompli de la fermeture. La loi va contribuer à un meilleur modèle de gouvernance de l'entreprise. L'autre aspect intéressant est que les actionnaires historiques auront un poids plus conséquent dans les décisions que les actionnaires de circonstance venus pour spéculer. Il y a une vision à plus long terme contre la dérive de la financiarisation du système. Je peux vous dire qu'à l'époque du combat de Florange, nous aurions aimé avoir une telle loi, plutôt que de nous retrouver totalement isolés.
Mais comment expliquez-vous l'évolution de François Hollande, juché sur une camionnette et promettant une loi dure en 2012 ? Vous aviez d'ailleurs eu des mots très tranchants en 2013 contre Jean-Marc Ayrault, accusé d'avoir « trahi » les ouvriers de Florange...
Oui, j'ai eu des mots très durs et je n'enlève rien à ce que j'ai pensé. A ce moment-là, nous aurions pu montrer à la terre entière qu'une autre voie était possible. Je ne regrette pas ce combat. Je n'enlève rien. Après, on m'a expliqué que, techniquement et juridiquement, la loi votée dans son jus aurait eu de très fortes chances d'être retoquée par le Conseil constitutionnel, à cause du droit à la propriété privée. Et je ne m'explique pas cette analyse. Car le projet de loi allait dans le sens de l'intérêt général. Les intérêts privés d'une multinationale doivent-ils l'emporter sur les intérêts d'un continent ? Bien sûr que non. Surtout, dans un contexte où on cherche à renforcer l'attractivité de la France et de l'Europe, car cette loi protège l'industrie.
A Florange, ainsi qu'avec les camarades de Liège, nous avons toujours pensé notre combat dans cette optique-là, avec la volonté de maintenir une industrie forte. Nous voulions une loi uniquement pour ça. Si je suis élu au Parlement européen, j'aimerais d'ailleurs que nous ayons un débat au niveau de l'Union, que nous réfléchissions à une politique industrielle continentale.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu