Ecologisme radical et décroissance

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Ecologisme radical et décroissance

Le débat trouve ses racines dans la pensée de Hans Jonas, philosophe
allemand disparu en 1993, dont la pensée est l’une des principales inspiratrices
de l’écologie. Face au danger auquel le développement de la technique
expose l’humanité, il relevait dans son maître ouvrage, Le Principe
responsabilité (Flammarion, 1998) : "Il faut prendre des mesures que l’intérêt
individuel ne s’impose pas spontanément et qui peuvent difficilement faire l’objet d’une décision dans le processus démocratique."

Le débat est revivifié par le retour d’une vision catastrophiste dans
la pensée écologiste, inspirée en partie des réflexions du philosophe Jean-Pierre Dupuy (Pour un catastrophisme éclairé, Seuil, 2002). Elle a occupé un
séminaire roboratif rassemblant à Montbrison (Loire), en février, près de 90
intellectuels, Verts, alternatifs, membres d’Attac ou des Amis de la Terre,
autour du thème "Antiproductivisme, décroissance et démocratie".

Ainsi, s’appuyant sur la théorie dite du pic de Hubbert, selon laquelle
la production mondiale de pétrole atteindra très prochainement un maximum
en raison de la diminution des réserves accessibles à bon prix, Yves
Cochet, député (Verts) de Paris, décrit le scénario d’une crise profonde
provoquée par
une augmentation brutale du prix de l’énergie entraînant l’écroulement
des systèmes de transport : l’aviation civile s’effondrerait, l’habitat
rural serait désorganisé (en raison de sa dépendance à l’égard de
l’automobile), etc. La crise s’accompagnerait d’un chômage massif et de guerres violentes pour le contrôle du pétrole du Moyen-Orient. Dès lors, le député envisage trois hypothèses : le chaos et la barbarie ; une dictature des pays riches se protégeant à tout prix ; une société de sobriété passant par le
rationnement. Sans suivre unanimement la prophétie de M. Cochet, les écologistes
radicaux postulent la survenance d’une crise écologique d’une intensité sans
précédent. Pour la prévenir, ils affirment la nécessité d’une rupture avec le
système économique dominant, qui repose sur la croissance.

LIEN SOCIAL

Ils dénoncent également l’idéologie du développement durable, qui
prétend concilier développement économique et protection de l’environnement. Le
développement durable ne serait qu’un faux-semblant, le manteau environnemental
d’un libéralisme qui ne voudrait rien changer. Les écologistes radicaux
s’attaquent ainsi au dogme central de la gauche : l’indissociabilité du
progrès social et de la croissance économique.

Mais si crise grave il y a, et si le seul moyen de la prévenir est
d’adopter des mesures de rationnement et de décroissance, comment le faire sans
recourir aux solutions dictatoriales, "léninistes", que récusent des écologistes qui ont toujours refusé l’idéologie marxiste ? Une première réponse a été
apportée par Geneviève Azam, économiste à l’université de Toulouse : évoquant les travaux du philosophe Cornélius Castoriadis sur la formation de la démocratie dans la Grèce antique, elle a relevé que celle-ci peut se renforcer par la confrontation à la tragédie.

"La démocratie est notre arme suprême ", dit Mme Azam, pour qui les
conditions de son bon exercice supposent d’assumer la finitude de la planète, de
rouvrir l’imagination pour expliquer que le monde fini n’est pas un monde
fermé, de réanimer le sens de la tragédie, qui impose des choix décisifs.

Une autre façon d’aborder le problème a été de relever que la démocratie est
déjà mal en point en raison des puissances qui contribuent au désastre écologique. Selon Serge Latouche, de l’université Paris-Sud, "le
pouvoir n’est plus exercé par le politique, mais par l’instance occulte des firmes multinationales ". Par ailleurs, note Stéphane Lavignotte, de
l’association Vélorution, "l’enjeu est de savoir si la société fait assez communauté pour se mettre d’accord. Mais quelle est la force du lien social quand la société est à ce point inégalitaire ?"

Le constat est incontournable, même pour ceux qui ne rentrent pas dans
une logique catastrophiste. Alain Caillé, animateur du mouvement anti-utilitariste incarné dans la Revue du MAUSS, relève ainsi : "Il est évident que
l’idéal démocratique est en panne à l’échelle mondiale. La dynamique actuelle du
capitalisme pousse au "parcellarisme", à l’éclatement du sens collectif."
La question que pose l’écologie radicale est donc essentiellement
politique : si l’on veut éviter les solutions autoritaires aux crises, il faut
revitaliser la démocratie. Cela passe par l’articulation du social à l’écologie, de la solidarité à la diminution des consommations matérielles. "Moins de
biens, plus de liens", "Ne pas construire la société que la catastrophe va nous
imposer, mais la société que l’on veut", "Ne pas seulement faire moins, mais
faire autrement", "Lutter contre les inégalités en instaurant un revenu
maximal" sont les idées synthétisant cette démarche où les crises écologique et
sociale ne sont pas pensées comme opposées, mais intrinsèquement liées.

Alain Caillé, ouvrant en forme de provocation une perspective
"social-démocrate universalisée", propose une alliance "entre ceux qui ont le souci de la planète, ceux qui veulent reconquérir la démocratie, et ceux qui
aspirent à refonder une base éthique minimale".

Il y a dans ces questionnements les matériaux d’une plate-forme sur
laquelle pourrait se rebâtir une gauche qui manque singulièrement d’idées sur la
société qu’elle prétend transformer. A la condition d’accepter la radicalité
que posent les "décroissants", ces partisans de la décroissance. Et de se référer davantage au philosophe Ivan Illich qu’à Karl Marx.

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09-03-2005 par Guillaume Chocteau

Concernant les droits d’auteur, je suis désolé, on m’a envoyé l’article et je ne peux donc rediriger vers le site d’origine.

En cas de soucis, je le retirerais.

Guillaume

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